Des gens commencent à se rassembler dans la rue, devant le saloon. La tension est palpable. Quelques clients avalent d’un trait leur verre de whisky, d’autres guettent la fenêtre par-dessus leur jeu de cartes. Soudain, le pianiste arrête de jouer pour laisser place à l’harmoniciste venu spécialement pour l’occasion. Des bruits de sabots résonnent au loin : il est là. La foule attend fébrilement de voir à quoi il ressemble, ce qu’il va faire, ce qu’il va dire… C’est le moment pour lui de descendre de cheval pour affronter cette communauté sans pitié que représente le monde vidéoludique. Et Dieu sait si c’est casse-gueule de descendre de son canasson quand on est une boîte de jeu vidéo, même quand on s’appelle Red Dead Redemption II.
NO COUNTRY FOR OLD GAMES
Foutu Blackwater. Le plan était pourtant parfait, comme en témoigne le pactole que Dutch Van Der Linde et sa bande ont réussi à ramasser lors du braquage de la banque. Mais la réussite du casse est à la hauteur de la débandade qui suivit. Traqués par les représentants de la loi et les chasseurs de prime, les hors-la-loi sont contraints d’abandonner leur campement et leur butin, pour éviter de se retrouver avec une corde autour du cou, ou une balle entre les deux yeux. Réfugiés dans les hauteurs des montagnes enneigées, les fuyards vont devoir survivre à cette épreuve avant d’établir un nouveau campement et de prendre un nouveau départ. Arthur Morgan, cow-boy chevronné et taciturne, est clairement l’homme de la situation pour tirer l’équipe de ce mauvais pas.
Tel est le point de départ du dernier-né de chez Rockstar, qui a décidément un don pour les entrées en matière dramatiques. Dans une ambiance faisant fortement penser à The Hateful Eight de Tarantino, cette introduction marque un contraste d’entrée de jeu avec l’opus originel, sorti en 2010. Que ce soit par les décors froids et glacés ou en choisissant de nous faire incarner un personnage évoluant au sein d’un groupe, par opposition à John Marston qui était un bandit solitaire en quête de rédemption. Marston, qui fait d’ailleurs partie des camarades de jeu d’Arthur, au même titre que Javier Escuella ou encore Bill Williamson, puisque l’action se situe avant les événements du premier opus. N’ayez crainte si vous n’y avez jamais tâté à l’époque, au pire vous raterez quelques références sans importance dans l’intrigue, au mieux cela vous donnera envie d’y rejouer.
Avant même de parler de graphismes ou de liberté d’action, ce qui étonne toujours chez le studio new-yorkais c’est sa manière de construire l’histoire. À ce niveau, on est plus proche d’un film noir que d’un blockbuster hollywoodien ! La mise en place des événements est très progressive et il faut compter une bonne quinzaine d’heures pour entrer réellement dans le vif du sujet, après avoir écumé de nombreuses missions qui font guise de tutoriel, tant les activités possibles sont nombreuses. Parti pris qui risque de laisser de nombreux joueurs au campement, peu habitués à une telle lenteur narrative.
C’est pourtant ce qui crée toute la force de RDR2, pour peu que l’on prenne le temps de s’y investir. Chaque protagoniste possède un background riche et complexe, à commencer par Arthur. Si l’on n’a que très peu d’informations à son sujet au début de l’aventure, son charisme est suffisamment important pour que l’on s’y attache rapidement et que l’on ait envie de comprendre ses motivations. Cela passe par les nombreuses conversations avec ses équipiers lors des déplacements ou après un événement important. On peut même se donner la peine de lire son carnet personnel à tout moment en appuyant sur une touche directionnelle ; carnet qui fourmille d’anecdotes et de croquis qui s’ajoutent au fil de l’aventure.
La qualité d’écriture bien reconnaissable du studio se conjugue à une tonalité sombre et mature très appréciable. Ici, on ne joue pas au shérif et aux voleurs avec des pistolets en plastique, en buvant un diabolo grenadine à la moindre égratignure. Au contraire, le sentiment d’être plongé en plein coeur du Far West américain, sauvage et impitoyable, n’a jamais été aussi fort.
EN ANGLAIS C’EST TUMBLEWEED
Autant rassurer tout le monde d’entrée de jeu : oui, le jeu est somptueux. Pas comme une rolex bling bling aux reflets criards, mais comme une oeuvre d’art de tous les instants. Le temps passé dans le prologue glacé contribue à l’émerveillement que l’on ressent lorsque l’on découvre les premières étendues de végétation, de cours d’eau et d’animaux peuplant les environs. Techniquement, on a affaire à l’un des plus beaux jeux de cette génération de console, même si tout n’est pas exempt de défauts. À commencer par un faux HDR qui peut faire tirer les niveaux de noir vers le gris, en plus de hautes lumières un peu trop cramées. Mieux vaut donc désactiver ce paramètre dans les menus de la console, en attendant un éventuel patch correctif. On a également vu mieux en termes de modélisation de visage et quelques rares ralentissements sont à signaler, mais ces défauts ne sont que des boules d’herbe séchée qui roulent en comparaison de la foultitude de détails qui composent l’univers : les jeux de lumière, les textures des vêtements et des tissus, les aspérités des rochers, les traces laissées dans la boue, les gouttes d’eau qui tombent des gouttières, les testicules des chevaux… J’ai même du mal à comprendre comment Rockstar peut bien faire pour optimiser son moteur à ce point, compte tenu du nombre incalculable de choses affichées à l’écran. En plus d’une photo à tomber par terre, la réalisation sonore a également bénéficié d’un travail titanesque. En fermant les yeux, on est capable de décrire exhaustivement la scène qui est en train de se dérouler ; entre les conversations des badeaux, les rires provenant du saloon, le bruit des sabots, les aboiements des chiens et j’en passe. Sans parler du doublage et de la bande sonore, exemplaires comme à l’accoutumée. On pourrait pinailler en regrettant l’absence d’un véritable mode photo, même si le mode caméra cinéma remplit bien son office.
Les quêtes principales et secondaires sont beaucoup plus variées et mieux amenées que dans l’épisode précédent, grâce à des transitions plus fluides et une variété d’actions qui vous tiendront en haleine, même lorsqu’il s’agira de s’adonner à la pêche à la ligne. Comme si ça ne suffisait pas, l’immersion est d’autant plus renforcée par des événements tantôt aléatoires, tantôt scriptés, sur lesquels vous tomberez en explorant la map. Cela peut être des scènes de vie très courtes dans lesquelles vous aurez plus un rôle d’observateur que d’acteur à proprement parler, comme une exécution par pendaison devant une veuve éplorée. D’autres pourront déclencher des quêtes annexes qui demanderont une bonne dose d’exploration ; je pense par exemple à la découverte de corps mutilés, perpétrés par un tueur en série dont vous devrez trouver l’identité en collectant des indices. Tâche Ô combien ardue, si l’on tient compte de l’aire de jeu gigantesque qui nous est offerte, sans aucun centimètre carré de terrain sous-exploité.
Bien que le début de l’aventure nous expose les nombreuses possibilités de gameplay, on n’a jamais le sentiment d’être constamment pris par la main, ce qui contraste fortement avec les productions modernes. Cela met en évidence l’aspect “simulation de cow-boy” que Rockstar a choisi de prendre avec ce RDR2.
- Terrain arboré sans mitoyenneté.
IMPITOYABLE
Simulation, le mot est bien choisi. On a beau être habitué depuis de nombreuses années à voir les mécaniques de roleplay foisonner dans tous les sens (équilibre bien/mal, réputation du personnage, dialogues interactifs…), le jeu semble vouloir pousser le réalisme le plus loin possible. Hors-la-loi de surcroît, Arthur est logiquement amené à effectuer des tâches plus ou moins honnêtes, pour ne pas dire criminelles. Le choix qui est laissé au joueur quant à la notoriété du personnage est souvent plus ambigu qu’il n’y paraît. Même si vous devrez parfois choisir entre capturer ou tuer, trahir ou sauver, d’autres décisions seront bien plus complexes à prendre, tant l’empathie pour les personnages devient palpable. On mesure donc le poids de chacune de ses actions, d’autant plus que votre tête peut très vite être mise à prix. Rien que le fait de faire les poches d’un simple cadavre trouvé sur la route après un règlement de comptes peut faire baisser votre réputation, voire amener un éventuel témoin à vous dénoncer auprès des autorités. Et il vaut mieux ne pas déconner avec ça, car être recherché partout où vous allez est loin d’être facile à gérer. Cela peut commencer par une petite prime, ce qui aura pour effet de remplir la carte de chasseurs de tête que vous pouvez soit éliminer, soit éviter. Pour les cas plus graves, vous serez recherché mort ou vif par toutes les autorités et traqué comme un chien, l’équivalent du 5 étoiles dans GTA. À noter que vous pouvez également payer directement la rançon à un guichet postal, afin de vous laver de tout péché dans la région correspondante.
Autant dire que l’argent ne coule pas à flots dans le jeu, il faut donc faire attention à la manière dont on le dépense et ne pas uniquement compter sur les missions proposées pour se remplir les poches. Au menu des petits boulots, la chasse ne vous permet pas seulement de restaurer vos barres d’énergie (vitalité, endurance et dead-eye) en consommant du gibier. Vous pouvez aussi vendre l’animal au complet, ou alors le dépecer afin d’en vendre la fourrure, pour peu qu’elle soit en bon état selon l’arme que vous avez utilisée pour l’abattre, et la partie du corps que vous avez touchée.
Autre possibilité, celle de le ramener à votre campement ; véritable village improvisé où vous pouvez commercer, vous entraîner aux divers jeux de plateau, cuisiner ou encore contribuer à l’amélioration dudit camp en faisant un don d’argent ou de biens précieux. Les améliorations à débloquer sont intéressantes car elles vous permettront d’acheter des upgrades pour vos armes et équipements, ainsi que de nouveaux objets dans les échoppes, tout en renforçant les relations avec vos partenaires. Toutes les activités présentes dans RDR2, de la plus simple (couper du bois, boire un whisky au saloon, prendre un bain) à la plus folle (attaquer un train ou une banque, affronter un ours brun, extraire un fuyard au lasso d’un torrent) participent à cette sensation de liberté et de réalisme rarement égalés dans un jeu vidéo.
Pour que la panoplie du cow-boy soit au grand complet, que deviendrait Arthur sans sa fidèle monture ? La gestion du cheval est très poussée, et la négliger serait une erreur car veiller au bien-être de son canasson vous permettra de semer plus vite vos assaillants, ou de rattrapper plus vite une cible, voire de gagner quelques courses. Lui donner à manger, le brosser, le caresser, le laisser à l’écurie pendant l’essai d’un autre cheval… Une simulation je vous dis !
LE BON, LA BRUTE ET LA BRUTASSE
En adéquation avec la variété et la liberté d’action qui sont proposées, le maniement de votre personnage s’inscrit lui aussi dans une volonté de réalisme. Ne vous attendez pas à parcourir des kilomètres sans être essoufflé ou à dévaler un flanc de montagne comme dans un Elder Scrolls. Arthur Morgan est un homme de chair et de sang, costaud et un peu lourdeau, et cela se sent pad en main.
En effet, la motion capture du soft étant de haute volée, chaque action de votre avatar sera traduite par le geste correspondant. Que ce soit pour ouvrir un placard, faire les poches d’un ennemi, switcher entre deux fusils dans le cargo de votre cheval ou pour dépecer un animal, chaque mouvement est véritablement retranscrit à l’écran. Si cela vient sublimer le photoréalisme déjà bien présent, l’impact sur le gameplay est à prendre en compte. Il faudra des heures de pratique pour parvenir à maîtriser toutes les actions possibles sans se planter. Il m’est arrivé plus d’une fois de filer un coup de pompe à un PNJ préalablement sauvé ou de sauter par mégarde sur une diligence à cause d’une confusion de touche ! Comme il est presque impossible d’annuler une action validée, il faut bien faire attention à ne pas se tromper, au risque de se faire plomber le lard alors que vous êtes tranquillement en train de brosser votre cheval.
Puisqu’on parle équidé, les chevauchées se déroulent la plupart du temps sans problème, le pathfinding se révélant efficace, même en caméra libre pour profiter des dialogues et du paysage. En revanche, les gamelles sont plus fréquentes lors des explorations libres, la moindre aspérité de terrain risquant de provoquer une lourde chute. Je n’en ai personnellement pas trop fait les frais, mais l’expérience de mes collègues à de quoi frustrer un tantinet. Quelques bugs de collision sont également à souligner, mais ils sont suffisamment rares pour ne pas entraver le plaisir de jeu.
Terminons ce test en abordant l’un des points centraux du western : les gunfights. Il faut bien avouer qu’il ne s’agit pas du point fort des dernières productions Rockstar. En ce qui concerne RDR2, disons qu’ils ressemblent un peu à ce bon vieux Arthur : lourds et bourrins. Le système de couverture est assez archaïque et souffre d’une petite latence lorsque l’on veut changer de planque. L’IA des ennemis est elle aussi assez vieillotte, puisqu’ils préfèreront foncer sur vous en surnombre plutôt que d’adopter une stratégie plus organisée. Durant certaines missions, on vous donnera la possibilité d’orienter l’avancée de vos coéquipiers et de leur donner quelques ordres. La furtivité est bel et bien présente, mais vous finirez très vite par sortir votre six coups, la faute à un manque de fluidité liée aux déplacements et à quelques cafouillages de vos alliés. Pourtant, on peine à trouver un défaut rédhibitoire tant la réalisation du titre force le respect. Même en posant deux semaines de congés d’affilée, il vous sera difficile de tout boucler tant le titre regorge de secrets et de recoins à explorer.