Opinion - Mais où est passée l’interactivité ?

«Un concept délaissé par la plupart des développeurs» le 13 octobre 2019 @ 11:002019-10-13T21:18:41+02:00" - 4 réaction(s)

Cette génération de consoles s’achève lentement mais sûrement et, comme à chaque fois, les joueurs et la presse dressent non seulement le bilan de la génération en cours mais formulent aussi leurs désirs et espoirs concernant celle à venir. On entend et on lit plus ou moins les mêmes choses à droite et à gauche. Certains réclament des améliorations techniques (meilleure fluidité, temps de chargement plus courts voire inexistants) tandis que d’autres espèrent que la Scarlett et la PS5 sauront sublimer la vision artistique des développeurs (graphismes, etc…). Et à chaque fois, je m’insurge. Car, il y a toujours quelque chose qui manque et qui, selon moi, est et doit rester capitale dans le jeux vidéo. Je veux parler de la question d’interactivité. Mais où est-elle passée ces dernières années ?

Une notion en perte de vitesse

Horizon Zero Dawn, Uncharted, Quantum Break, Assassin’s Creed, Red Dead Redemption 2… Des jeux dont je ne remets pas en cause l’excellence (j’émets tout de même quelques réserves à l’égard du titre de Remedy) mais qui m’ont vraiment frappé dans leur façon de concevoir l’expérience vidéoludique. Nous avons des mondes ouverts et des expériences linéaires qui ont tous un point commun : leur monde en nature morte. RDR 2, par exemple, brille effectivement par le côté immersif de son monde mais ne parvient jamais à le rendre malléable pour le joueur. Si ce dernier peut effectivement ouvrir et fermer certains éléments du décor, il ne peut pas véritablement jouer avec la structure même du jeu (prendre n’importe quel objet pour l’observer ou tout simplement le voler, déplacer des éléments du décor afin de résoudre un problème, supprimer un PNJ de façon permanente, choisir d’approcher une problématique de façons différentes, etc…). Le jeu fait très vite comprendre au joueur que sa partie sera sous contrôle du début de l’aventure à sa conclusion. Car, son monde n’est finalement qu’un décor en carton pâte dont les figurants ne sont là que pour tenter de le crédibiliser.

Pire, si l’on peut facilement pardonner à un monde ouvert de ne pas proposer suffisamment d’interactions, il est beaucoup plus difficile de ne pas loucher devant ce problème quand il s’agit de titres plus linéaires.

Idées reçues

Nous avons tous tendance à penser que la notion d’interactivité repose essentiellement sur la technologie. On pourrait aussi penser que laisser plus de liberté au joueur pourrait déséquilibrer la proposition des développeurs. Je ne peux être d’accord avec ces deux arguments. Car, elle dépend en priorité de la volonté et du talent des développeurs afin d’utiliser au mieux les outils à leur disposition. Que l’on ne me fasse pas croire qu’il est impossible de reproduire l’expérience d’un Max Payne, d’un Deus Ex, d’un Half-Life 2, d’un Minecraft, d’un Ultima Online… des jeux qui ne datent pas d’hier, à l’exception du titre de Mojang. L’impossibilité de jouer avec le décor, par exemple, dans des titres tels que les Halo me rend perplexe alors qu’il y a matière pour intégrer de la destruction et ainsi encourager le gameplay émergent. Résultat : Halo : Combat Evolved Anniversary à Halo 5 : Guardians en passant par Halo 3 : ODST, rien ne semble avoir progressé en ce sens.

Si l’interactivité semble avoir été mise de côté par la plupart des studios aujourd’hui, elle subsiste néanmoins à travers le genre RPG et, plus particulièrement, à travers son pendant occidental. Je garde un souvenir ému de Morrowind sur PC. Tout semblait possible. Le monde non seulement me racontait un nombre incroyable d’histoires mais restait aussi un espace d’expression. Je pourrais aussi citer la plupart des RPG occidentaux comme par exemple les Fallout ou les Divinity : Original Sin. Côté J-RPG, on peut aussi citer les Dragon Quest (qui reprennent en grande partie les Ultima) où le joueur peut fouiller chaque mètre carré de la carte, interagir avec n’importe quel PNJ ou encore choisir de ne pas aller dans le sens de la narration provoquant parfois quelques réactions impromptues chez certains personnages. Le problème, c’est que sorti de ces licences historiques, il n’y a plus grand-chose d’autre à se mettre sous la dent en termes de possibilités d’interactions.

Les yeux se sont tournés un temps vers la réalité virtuelle qui fut pleine de promesses à l’annonce de l’Oculus Rift. Elle l’est encore mais peine vraiment à décoller faute d’investissements et d’envie de la part des développeurs. La VR, c’est comme la voiture électrique : si personne n’y va, jamais elle ne s’imposera. Le fait est que presque aucun jeu sorti jusqu’à présent sur le Rift, le Vive ou encore le PS VR ne s’est révélé être une avancée en termes d’interactivité. A l’exception peut-être de The London Heist. Il suffit de voir à quel point l’Internet s’est enthousiasmé après avoir joué à la fameuse scène du cigare. Des expériences interactives qui peinent encore à convaincre à cause d’une durée de vie souvent décourageante pour de potentiels acheteurs couplée à un coût à l’entrée souvent rédhibitoire pour les bourses les plus modestes.

Un problème d’époque

Alors que la technique n’a jamais été autant abordée dans le petit monde du jeu vidéo, les expériences que l’on nous propose semblent en vérité de plus en plus maîtrisées ; mondes ouverts ou non, d’ailleurs. C’est d’autant plus fou qu’elle aurait dû, au contraire, servir le gameplay plus qu’autre chose. Les faits sont là, la destruction n’a toujours pas évolué depuis Crysis. Aucun jeu n’a fait mieux que F.E.A.R. en matière d’intelligence artificielle. Les conditions climatiques ayant un réel impact sur les mécaniques de jeu ont largement été sous-exploitées. Tout cela joue sur la liberté du joueur de s’exprimer au sein d’un monde virtuel mais surtout de se l’approprier.

Il faut dire aussi que le monde du jeu vidéo n’a plus rien à voir avec ce qu’il était. Si le profil type du joueur en 2019 a changé, celui des développeurs aussi a drastiquement évolué au cours des années. Les éditeurs et les studios prennent aujourd’hui des risques considérables pour chaque titre qu’ils présentent au public. Les rythmes de production ont également augmenté de façon exponentielle. Mais, le jeu vidéo s’est aussi largement professionnalisé, assagi et contraste aujourd’hui avec le côté subversif et geek qu’il pouvait avoir dans les années 80 ou 90. Il n’y a qu’à entendre Wanda, ancienne journaliste de feu Joystick expliquer au micro de ZQSD, dans une émission qui lui est consacrée, qu’après des années à côtoyer les développeurs de chez Arkane Studio à Lyon, elle s’est fait mettre sèchement à la porte par le producteur de l’époque. L’industrie a changé jusqu’à étouffer la créativité de certains développeurs. Je tiens à préciser que je n’inclus pas Arkane qui a su insuffler cette notion d’interactivité dans chacun de ses titres ; je pense notamment à Prey et aux Dishonored. Le premier reprenait Half-Life 2 à sa manière en lui faisant un clin d’œil largement appuyé à travers son fameux Gloo Gun. Tandis que le second, lui, reprend des bases de jeux de rôles traditionnels : loot, exploration, quêtes ayant une incidence sur les différents protagonistes qui peuplent le monde, la possibilité de choisir de faire le mal ou le bien, etc…

Les joueurs, les créateurs, les moyens technologiques et les éditeurs ont drastiquement évolué au cours de ces dernières décennies. La conséquence logique de tout ça c’est que les jeux eux-mêmes s’en sont trouvés profondément changés. De majoritairement textuels, ils sont passés à quelque chose de beaucoup plus cinématique où la narration est beaucoup plus libre. Nous sommes passés de jeux à systèmes à des jeux narratifs. Rassurez-vous, ce n’est pas une critique ; juste un constat. Mais, je regrette simplement que l’un l’ait emporté sur l’autre. Le jeu vidéo gagnerait, selon moi, à regarder de temps en temps dans le rétroviseur.

Un problème de cible

Donner plus de liberté au joueur, c’est très bien ; mais cela peut aussi rebuter certains joueurs qui n’en verraient ou n’en comprendraient pas l’intérêt tandis que d’autres apprécient une progression plus guidée. On peut se rappeler de la sortie de Zelda : Breath of the Wild en 2017. Si les réactions ont largement été bienveillantes, d’autres semblent avoir eu plus de mal à prendre le virage du monde ouvert où le joueur est expressément encouragé à expérimenter de nouvelles choses par lui-même. Cette obligation d’appropriation peut effectivement faire peur à certains joueurs. Minecraft en est le meilleur exemple vu qu’il ne repose que sur l’expérimentation et m’a toujours un peu impressionné en tant que joueur. La peur de ne pas savoir quoi faire ou comment bien savoir faire les choses m’empêche de lui donner sa chance.

Cependant, entre Minecraft et Quantum Break, il y a un monde rempli d’opportunités de proposer quelque chose d’intéressant sinon nouveau au joueur. Opportunités que les développeurs ne semblent pas vouloir saisir par manque de temps, de volonté ou de talent, tout simplement. Quand Les Inrockuptibles ont interviewé, en janvier 2010, David Cage (fondateur et PDG de Quantic Dream) peu de temps avant la sortie de Heavy Rain, il a dit quelque chose que je trouve, encore aujourd’hui, très juste :

(…) On a fait le tour de ce que l’on peut faire avec les règles établies. Les derniers jeux sont extraordinaires sur le plan visuel mais ce sont les mêmes qu’il y a dix ans. Il n’y a pas de changement de la relation du joueur au jeu. Ces règles nous ont rendu bien des services, mais il va falloir remettre en question un certain nombre de choses pour voir si l’on ne peut pas aller plus loin.

Même si Heavy Rain ne m’a pas convaincu personnellement, c’est un autre jeu de Quantic Dream qui, pour moi, capture l’essence de ce que devrait être l’interactivité entre un joueur et un monde virtuelle. Cet autre jeu, c’est Fahrenheit. Sa séquence d’introduction restera à jamais gravée dans ma mémoire. Car, elle m’a ouvert les yeux sur ce qu’il devenait possible de faire dans un jeu vidéo. Toute action semblait avoir des conséquences parfois tragiques sur la suite des évènements. Il fallait gérer le psychisme de son personnage pour éviter qu’il ne se suicide et mette par conséquent fin à la partie. Je me souviens encore en train de me battre avec ma souris pour essayer d’ouvrir une porte correctement…

Quoi que l’on pense de Quantic Dream et de leurs jeux, force est de constater qu’ils ont fait progresser le média et je crois que d’autres studios devraient plus s’en inspirer. Car, au-delà de la technique pure à grands coups de teraflops, il reste néanmoins un impératif créatif : celui de proposer des jeux qui impliquent le joueur plutôt que de l’enfermer dans des mécaniques casanières. En effet, si la routine rassure, elle n’est en réalité qu’un poison lent auquel il est facile de succomber. A bon entendeur.

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AceParty

13 oct 2019 @ 11:39

La physique et l’interactivité est clairement le - de cette génération. Les studios ont plus focus sur l’optimisation et un gameplay bien maitrisé avec de belle textures 4k bref une expérience définie et bien controler. La faute bien souvent à un processeur de tablette (Jaguar) déjà daté en 2013 dans nos consoles et des coûts de productions massif !

Du coup avec un CPU aussi mauvais (même dans la X ou la PRO car toujours le même CPU) ben on ne pouvait pas s’attendre à énormément de ce côté. Pour Preuve control essaye est à franchement du mal à tourner correctement. C’est pareil pour l’IA qui est CPU focus plus que GPU.

Ajoutons le fait que nous demandons de plus en plus le 60 fps et pareil le Jaguar CPU est clairement pas fait pour alors combiné les 2 c’est juste pas possible (suffit de voir le rendu bien laid d’Halo 5 pour s’en rendre compte (H5 visait 60fps/1080p du coup c’est pas beau sur One S et la physique à totalement disparue)

Bref vivement la next gen avec Ryzen, ça va être un énorme bond en CPU mais pas trop en GPU par contre mais je pense que la physique et l’intéractivité reviendra en tous cas plus souvent avec la next gèn.

Grimlock60160

13 oct 2019 @ 12:17

Et oui cest claire que tous ce qui est dit dans votre article me manque aussi.Le jeux que je kiffais dans le temps et je pense que ça va vous rappeler quelque chose c’est Red Faction ou l’on pouvait tous détruire et même ce cacher dans ce que l’on faisait en destruction trop bien comme jeux et Max Payne un régale avec leurs ralentis trop bien aussi .:-))

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Gordon Freeman

13 oct 2019 @ 16:07

C’est vrai qu’aujourd’hui tout est codifié selon un cahier des charge, qui coche toutes les petites cases du blockbuster grand public, et même si ça ne fait pas forcément de mauvais jeux, ça donne bien souvent des titres qui manquent d’âme, ou de profondeur. En jouant, bien souvent je me dis « Tiens, c’est con qu’ils n’aient pas pensé à ajouter ça, qu’on ne puisse pas faire ceci ou cela... », et je me dis aussi que si moi j’y pense, des spécialistes en développement du JV ont dû y penser aussi ; mais les années passent, les jeux se ressemblent et cultivent les mêmes défauts... De nos jours, tout est articulé autour de l’histoire, ce qui ne me dérange pas, j’adore les jeux scénarisés ; mais le game design est quasiment oublié…

Tenez, un truc auquel je pense souvent, c’est tout con ! Dans la plupart des RPG, on a du crafting et de l’alchimie, deux compétences que je néglige tout le temps parce qu’on ne nous donne aucune indication sur l’endroit où trouver des plantes et matériaux dont on a besoin. Il suffirait pourtant d’ajouter un petit almanach de l’herboriste ou du forgeron, qui détailleraient chaque plante ou matériau du jeu (apparence, propriétés, localisation) . Ce serait une bonne idée de gameplay, qui nous aiderait à planifier nos voyages, et ça rendrait nos recherches beaucoup moins fastidieuses.

Ce qui manque à quasiment tous les jeux, c’est une corrélation organique, un lien si vous préférez, entre la narration, l’environnement et les mécaniques de jeu ! Aujourd’hui, on sait plus ou moins créer des environnements « organiques », qui ont l’air vivant, mais l’interaction qu’on peut avoir avec reste effectivement mince, et même lorsque certains jeux s’y essaient (RDR2), ça reste assez désuet, parce que ça n’a pas été pensé dans un but ludique, mais juste par souci de réalisme ! Le jour où l’on commencera à nous pondre des jeux où tout s’entremêle, où la narration aura un impacte sur l’environnement, l’environnement un impacte sur la gameplay, et le gameplay un impacte sur l’environnement ainsi que sur l’histoire, le jour où tout ça sera pensé pour s’imbriquer en même temps, et que les choix du joueur engendreront à leur tour des impactes sur le jeu, on sera face à une vraie révolution ! Mais pour ça, il faut un studio et un éditeur qui auront le courage d’abandonner les cahiers des charge actuels, qui auront l’audace d’innover les jeux d’aventure !

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deadlyegoalan

13 oct 2019 @ 21:06

@ Gordon Freeman ce que tu dis est intéressant mais aujourd’hui hui le jeu vidéo est beaucoup trop gangrené par le capitalisme et malheureusement les plus gros consommateur sont les plus jeunes. Y a qu’à regarder les ventes d un call of ou d’un fifa pour que les actionnaires soient plus enclins à investir dans jeu simple qui est assuré d’un succès plutôt qu’un jeu complet, complexe et bien écrit dont les ventes seraint bien inférieur. Un jeu public est plus vendeur qu’un jeu qui cible un public précis. C’est la vision capitaliste qui prime.