Malgré un deuxième opus plutôt moyen, la licence Mafia dispose toujours d’une aura assez forte pour faire partie du clan des jeux en open-world sur lesquels il est bon de garder un œil. La campagne promotionnelle était intense, ce qui laissait présager la mise à disposition de gros moyens pour le tout jeune studio Hangar 13. Est-ce que le titre est à la hauteur de ses ambitions, de son héritage et de l’attente qu’il a suscitée chez les joueurs ? Rien n’est moins sûr.
Laisse pas Treme ton fils
Dans l’univers de la Mafia, il n’y a pas cinquante solutions de scénario possible. Surtout quand il s’agit d’un jeu en open-world, proposer l’ascension d’un personnage en bas de l’échelle est devenu un gimmick aussi évident que fatigant. Et c’est bien ce que nous propose ce Mafia III.
De retour de la guerre du Vietnam, Lincoln Clay est un jeune black violent et entouré de mauvaises personnes, ce qui l’attire irrémédiablement vers le crime. Le traditionnel cliché de l’ancien militaire permet de justifier sa maîtrise des armes, de la stratégie et son goût pour le sang. Après s’être fait doubler par le mafioso local causant la mort de tout son gang suite à un casse rocambolesque, il se décide à prendre les armes pour faire la seule chose qu’il a apprise de toute sa vie : faire la guerre. Aidé de son ami Donovan, un agent farfelu aux motivations un poil faciles, il va reconquérir chaque quartier de la ville pour buter sous-fifres, capos et boss, cliniquement, sauvagement et sans réfléchir. Bien sûr, il a un ami prêtre qui viendra poser les questions d’ordre moral pour garder à l’écart Familles de France.
La qualité de narration de la série est quelque chose qui lui permet de briller pour le plus grand plaisir des cinéphiles avides de clichés qui parleront alors de références. Entrecoupée de flash-forward filmés façon reportage, la narration prend son temps et se donne la possibilité d’amener une certaine tension, tout en permettant aussi d’apporter des éléments de compréhension sur les personnages et l’époque dans laquelle ils évoluent (la fin des années 60, après l’assassinat de Luther King). En plus, cela permet de varier les points de vue pour raconter une histoire somme toute assez classique mais efficace. On ne peut pas nier le travail d’écriture sur les dialogues et l’univers construit pour l’occasion, car c’est le seul point sur lequel il est difficile d’attaquer le jeu, même si cela n’est pas parfait, assurément. La mise en scène est un peu en retrait sur pas mal de scènes de dialogue mais certains moments sortent un peu du lot pour démontrer un certain soin apporté par les développeurs à leur jeu. Quoi qu’il en soit, on ne pourra que constater le travail réalisé sur la reconstitution d’une époque où le racisme est omniprésent et fait aussi froid dans le dos que ce que l’on peut lire dans les journaux actuellement. Malheureusement, le jeu n’apporte jamais réellement de réflexion face à cela. Dommage.
Là où l’histoire aurait pu briller et gagner en profondeur, voire prendre aux tripes, elle se plante lamentablement à cause du découpage du jeu usant de mécaniques trop répétitives. Pendant toute la première partie du jeu, assez longue, on enchaîne les missions les unes après les autres allant à la rencontre d’une nouvelle personne et réalisant de basses besognes pour être dans ses bonnes grâces. Tel le début d’un Final Fantasy XIII en mode couloir, le joueur se lassera bien vite d’aller d’un point A à un point B pour tirer sur tout le monde, voler quelque chose, saccager des marchandises. Et d’un coup, le jeu devient un peu plus intéressant, permettant de partir à l’assaut du gang de mafieux que Lincoln rêve de voir anéanti. Davantage de missions secondaires, plus de personnages, plus de choix pour le joueur, le jeu prend une autre tournure. Hélas, les travers reviennent très vite là où l’on pouvait commencer à se dire que ça pouvait enfin décoller. Il y a au final très peu de missions qui sortent de la routine pour varier les séquences de gameplay.
Tout le jeu propose de manière originale et intelligente de mettre à mal un gang qui détient tous les quartiers de la ville. En toute logique, Lincoln voudra s’attaquer au business en lui-même pour perturber ses ennemis et les pousser à se manifester personnellement afin de leur tomber dessus. C’est l’occasion pour les développeurs de dépeindre tous les habituels gagne-pain de la mafia allant du traitement des ordures aux jeux d’argent en passant par les différents trafics d’alcool et j’en passe. Seulement dans les faits, on commencera toujours par s’atteler à des micro-missions indiquées sur la carte avant de tomber sur un sous-fifre un peu plus intéressant que l’on pourra tuer ou recruter et ainsi de suite jusqu’au chef de quartier. Manque de bol, souvent cela se résume à faire des allers-retours pour s’infiltrer en quelques minutes (le level design offre souvent des issues qui mènent directement à l’objectif), faire sa sale besogne et repartir aussitôt. On passe limite plus de temps à rouler qu’à agir vraiment. Le comble de l’ennui revient à ces missions qui nous renvoient illico dans le lieu que l’on vient juste de nettoyer. Dès qu’il y a un entrepôt un peu plus grand que les autres, on peut être sûr que c’est là qu’un chef se pointera. C’est complètement con dans le sens où l’on maîtrise déjà l’environnement et qu’on aura trouvé tous les chemins pour nous simplifier la tâche. En résumé tout le concept aurait pu être bien, mais il est malheureusement trop rébarbatif pour que l’on se prenne complètement au jeu et s’intéresse à ce qu’il raconte. D’autant plus que le nombre de personnes à zigouiller est si impressionnant qu’au bout d’un moment on ne cherchera même plus à savoir qui est qui tellement tout cela risque de nous passer complètement au-dessus de la tête.
The adventures of Bayou Silly
Qui dit jeu en open-world, ne dit pas jeu bac-à-sable. Et c’est bien là le souci avec la licence. Si les joueurs s’attendent encore à avoir de vraies missions secondaires intéressantes, des activités annexes, ce genre de choses qui le rapprocherait plus d’un GTA, ils seront bien déçus. La campagne promo du jeu n’avait jamais mis l’accent dessus alors il ne faudra pas s’étonner plus que de raison du relatif vide de New Bordeaux. Si la ville est crédible, offrant un terrain de jeu assez large avec ses bayous et ses différents quartiers aux ambiances variées, elle n’est pas au centre du jeu comme elle aurait pu l’être dans GTA. Elle n’est qu’un contexte pour raconter une histoire. Ainsi, on passera son temps à rouler sans s’intéresser vraiment à ce qui s’y déroule, d’autant plus qu’elle manque singulièrement de vie ou de scènes de vie pour que l’on s’y sente dépaysé. Ce ne sont pas les quelques dialogues entre des PNJ qui suffiront à nous immerger. La seule chose qui nous pousse à l’explorer, c’est la collecte de deux catégories d’items : les fusibles et les collectibles. Les fusibles sont un peu à part car ils servent à pirater le réseau téléphonique pour obtenir sur la map l’emplacement des autres collectibles et la position des ennemis. Oui, c’est un peu la méthode Ubisoft. Si les magazines, vinyles, etc. n’apportent rien et nous obligent à visiter des ruelles et des garages qui se ressemblent tous, le marquage des ennemis perd lui aussi de son intérêt au bout d’un moment puisqu’ils seront toujours indiqués sur la carte via un bonus.
En effet, la première partie du jeu servant à se faire des alliés, ceux-ci resteront aux côtés de Lincoln tout le long du jeu pour proposer leurs services. Livraison de voiture express, de munitions et d’armes, collecte d’argent ou même possibilité de brouiller les radios de la police, le choix est vaste et pratique. En plus de cela, se débloqueront des capacités avancées comme la possibilité de porter plus de munitions, de tuner les voitures, de marquer des ennemis et toutes sortes de choses qui simplifieront la vie de Lincoln. Comme rien n’est jamais gratuit avec les gangsters, ces services sont disponibles si nos amis nous aiment. Pour cela, il faudra leur accorder des quartiers pour qu’ils puissent faire leur business sans les froisser. C’est bien une des rares idées intéressantes de ce Mafia III de laisser le joueur gérer vraiment son territoire en big boss.
Dans la brume électronique
Pour lutter contre le crime organisé, rien de tel qu’un militaire accompagné de son agent spécial bourré de gadgets. C’est aussi une facilité pour les développeurs d’apporter des possibilités au joueur sans perdre la cohérence de l’univers. Les téléphones portables n’existant pas en 1968, il faudra compter sur le talkie walkie spécial de Lincoln pour appeler renforts et livraisons de matos. Le piratage du réseau téléphonique, comme vu plus haut, permet d’expliquer le marquage des ennemis présents sur le terrain et aussi savoir à l’avance les mouvements de l’ennemi. Tout cela nous rappellerait presque la série The Wire. En revanche, l’explication de la présence d’un GPS est passée à la trappe. Parmi les choses qui ne sont pas bien logiques et cohérentes, on peut aussi citer la perte de la moitié de notre cash en cas de mort, non expliqué ici par les frais d’hôpitaux comme dans GTA. Non c’est comme ça, on divise par deux et basta. Soit.
Si la conduite est agréable sans plus, et prend bien en compte le comportement particulier des voitures de l’époque, il est difficile d’avoir envie de se promener en ville pour le plaisir. Et on ne pourra pas non plus compter sur le scénario pour profiter du feeling arcade de celle-ci dans des courses-poursuites effrénées. Peut-on se satisfaire pour autant de la partie gunfight et infiltration du jeu pour en avoir pour son argent ? Oui et non. Le feeling des armes est correct sans plus, même si la violence est assez marquée pour être parfois jouissive. Les ennemis ne sont pas bien intelligents et ne prendront que rarement le joueur par surprise en le contournant, préférant se planquer dans un coin pour se faire canarder de loin. Même quand on a changé de position depuis belle lurette, ils attendent qu’on leur explose la tronche à distance avec un fusil - ou même une arme de poing qui fait preuve d’une puissance folle. Plus démesurée encore, la violence au corps à corps. Lincoln est un vrai sauvage qui arrache des trachées façon Rambo, plante à répétition sa lame dans des têtes, éventre des mafieux respectant la méthode des bouboules et la boubouche,... un vrai festival de la tripaille. Point négatif, les combats à mains nues sont moins évolués que dans le 2 : on tape, on esquive, c’est tout. Par ailleurs l’IA des ennemis étant à chier, l’infiltration est particulièrement ratée. Il suffit de se planquer derrière une caisse, siffler un petit coup pour attirer le premier ennemi, le choper depuis sa couverture même de super loin et re-siffler pour que son collègue, avec qui il était pourtant en train de discuter au début, se pointe et finisse par s’étouffer avec son sang. Affligeant. En tout cas, cette violence contre les sbires lambdas rend encore plus improbable le choix laissé au joueur d’épargner la vie de leurs patrons ou de les tuer. Le seul moment où le jeu devient vraiment jouissif, c’est lorsqu’on débarque en plein rassemblement du Klan alors qu’on se fait traiter de nègre à tous les coins de rue depuis 15 heures et qu’on se venge en balançant une grenade au milieu de ce gros tas de crétins arriérés de sudistes. À noter que pour les chefs affiliés au Klan, le joueur n’aura pas la possibilité de les épargner en les recrutant, Lincoln leur tranchant la gorge directement.
Un flou dans la mafia
Si l’IA est une catastrophe en soi, ce n’est pas la seule carence technique dont fait preuve le jeu. Mafia III est dramatiquement moche. C’est le genre de production qui laisserait croire que Watch Dogs était en avance sur son temps. Les effets de lumière sont immondes, même pas digne de GTA IV, les textures sont floues et l’aliasing est prononcé. Mais que dire aussi de ces pop-in et pop-out des éléments assez déconcertants ? Rouler vite, c’est se rendre compte à quel point le jeu peine à afficher les choses qu’il essaie de cacher le reste du temps dans une sorte de brouillard flou. Les paysages du bayou sont dégeulasses avec des arbres et buissons en béton armé indestructibles dignes d’un jeu de la génération précédente avec en plus un rendu de l’eau des marécages médiocre. Les vidéos promotionnelles étaient vraiment bullshitées à mort.
En plus de cela, le jeu se paie des bugs improbables de physique foireuse, de scripts qui se déclenchent mal... Il suffit parfois de laisser sa voiture à un endroit pour rentrer dans un bâtiment et la chercher comme un con pendant un temps parce qu’elle s’est téléportée ailleurs. Et si je parlais de l’IA des ennemis durant les gunfights, que dire de celle de la police, incapable de nous retrouver dans une ruelle à 10 mètres de notre crime. Afin de jouer avec les nerfs du joueur, on notera aussi les points de respawn à des kilomètres du lieu de décès, l’obligeant à reprendre les mêmes routes encore et toujours. Pour couronner le tout, on ne s’étonnera même pas des nombreux crashs (une quinzaine durant tout mon test). Vraiment, l’expérience de jeu est plutôt pénible. Ce n’est pas l’OST, qui rassemble tous les standards du classique rock des 60’s que l’on a déjà entendus 50 fois ailleurs, qui sauvera la mise non plus. Tout n’est qu’un beau gâchis qui aurait mérité encore des mois de travail avant de se présenter à nos yeux, même s’il propose un framerate pas trop à la ramasse. Dans un jeu où l’on peut passer son temps à récolter des fusibles partout, c’est vraiment dommage de nous faire péter un plomb à ce point sur des carences techniques aussi prononcées.