La probabilité que vous connaissiez le jeu Highway Encounter est pour le moins très faible. Déjà, c’est un titre qui date de 1985. Ensuite, et surtout, c’est un jeu tout ce qu’il y a de plus sympathique, mais qui objectivement n’a rien d’incroyable non plus. Il n’est donc pas vraiment étonnant qu’il ne soit pas resté dans les mémoires. Pourtant, allez savoir pourquoi, j’ai terriblement accroché et j’y ai beaucoup joué, jusqu’à ce que je réussisse à le terminer.
C’est un titre où on doit accompagner une colonne de robots à travers l’écran sans que ceux-ci ne soient détruits. Comme des lemmings, ils avancent stupidement jusqu’à trouver un obstacle. On contrôle l’un d’entre eux, qui, lui, peut se déplacer librement et qui doit donc préparer le terrain pour que ses copains ne se fassent pas détruire lamentablement.
C’est ainsi que mon Amstrad CPC 464 est longtemps resté allumé sur Highway Encounter, le jeu m’ayant lancé le défi de le terminer. Ce n’est pas tant le jeu en lui-même qui m’a marqué, mais plutôt le fait qu’il m’a valu une engueulade très virulente, et, je dois bien l’admettre, plutôt méritée.
La scène se passe donc en 1985 ou 1986. Ma mère reçoit la visite d’une de ses amies, qui traîne avec elle son gamin. Il est plus jeune que moi, et à vrai dire je ne l’aime pas beaucoup. Sa mère lui passe tout, ce qui en fait un gosse cherchant sans arrêt les ennuis sans vraiment réussir à les trouver. Étant plus âgé, je suis donc dans une position inconfortable : il me faut me maîtriser pour ne pas lui botter le cul, puisque, quoi qu’il arrive, je serai le responsable. D’ordinaire, mon frère, 3 ans plus jeune que moi, s’occupe avec lui. Mais cette fois il n’est pas là.
Afin d’avoir la paix, je me réfugie dans ma chambre, je charge Highway Encounter, et je commence à jouer. Comme tout le monde me laisse tranquille, tout se passe bien, et j’avance vite dans le jeu. Je passe sans m’en rendre compte une dizaine d’écrans, je les connais par cœur. Au bout d’un moment j’arrive loin dans le jeu, dans des niveaux que je ne connais pas encore. Et il me reste pas mal de vies, je suis confiant. Je fais avancer mon robot dans les écrans suivants pour voir ce qui m’attend, et je découvre qu’il ne me reste que trois écrans à passer pour amener ma troupe au bout du jeu. Hey ! Il faut rester concentré !
Comme dans un mauvais rêve, le sale gosse ouvre la porte de ma chambre et pointe le bout de son nez. Globalement de bonne humeur, étant donnés ma performance du jour et le fait que je suis pour ainsi dire au bout du jeu après beaucoup d’efforts, je lui demande d’attendre quelques minutes, lui promettant même que je jouerai avec lui ensuite ! Sur ce, je commets l’erreur fatale. J’ajoute, sans y penser : « et s’il te plaît ne touche pas à l’interrupteur de la lumière, mon ordinateur est branché sur la même prise que ma lampe et ça l’éteindrait. » Le temps semble se figer et une tension soudaine remplit la pièce. Alors que je vois son visage changer d’expression, les traits du Démon venant se juxtaposer aux siens, je sens que c’est un regard implorant que je lui adresse au lieu de faire preuve de fermeté. Nouvelle erreur. Du haut de ses 9 ans, en parfaite incarnation de l’Antéchrist, la petite créature me fixe avec intensité et défi, tout en appuyant sur l’interrupteur. J’ai dû crier un « Noooon » tout à fait comparable à celui beuglé par Luke Skywalker lorsqu’il réalise l’identité de son père. D’un bond, en pilote automatique, je saute de ma chaise, me précipitant vers le gamin qui ne bronche pas et continue de me toiser, sûr de son bouclier naturel que constitue son jeune âge. Dommage pour lui, j’oublie que j’ai 4 ans de plus, et je lui décoche, non pas une gifle ou une tape sur le cul, mais bel et bien une bonne vieille droite des familles.
Naturellement, il se met à pleurer bruyamment, et les deux mères rappliquent. Je me fais défoncer, et on me sert un discours d’une longueur infinie sur la responsabilité, sur le fait qu’un petit ne se rend pas compte, etc… Très vite j’abandonne les justifications : impossible d’expliquer que c’était un défi assumé de la part d’une créature habitée par le Diable, et impossible de mettre dans la balance une partie de jeu vidéo interrompue grossièrement. Je me suis donc contenter de ne rien dire, scandalisé intérieurement par l’injustice de la situation, et ne regrettant rien, tout en ayant un peu honte, tout de même, d’avoir collé une droite à un gosse.
J’ai terminé le jeu un autre jour, et plus jamais il n’est venu m’emmerder. C’est déjà ça.
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