Parfois ce qui semble être une idée lumineuse se révèle être un désastre, et c’est ce qu’a expérimenté le malheureux Jason Hartley, qui a le cœur encore à vif. Malgré cela il a accepté de nous livrer ses impressions après son terrible échec.
C’est en 2014 que l’idée de GrouchySmurf.com lui est venue, lors de la présentation de la Xbox One à l’E3.
Certes, le discours de Microsoft était confus, c’est le moins qu’on puisse dire, mais le torrent de haine, de moqueries, et de réactions démesurées m’ont fait réaliser que tous ces gens représentaient un marché que je me devais d’exploiter.
Pendant l’année suivante, Jason s’est livré à une étude de marché très sérieuse, écumant le net, et constatant que quel que soit le sujet, systématiquement des individus venaient commenter le plus négativement possible, jusqu’à l’absurde.
Le potentiel semblait fantastique, un vivier inépuisable. Le projet semblait peu risqué, et d’ailleurs je n’ai eu aucune difficulté à lever des fonds pour développer le site.
Celui-ci n’étant plus accessible, laissez-moi vous en décrire le principe. GrouchySmurf.com se présentait sous la forme d’un portail d’informations, avec un tri possible, et même recommandé, par catégories (cinéma, télévision, jeux vidéo, automobile, mode, cuisine, etc…). Les informations publiées étaient celles avec le plus grand potentiel polémique, et réparties dans les rubriques appropriées, plusieurs étant parfois concernées (par exemple une adaptation de film en jeu vidéo). Les membres étaient invités à commenter, bien entendu, et à donner une note à la newz, appelée « jauge de hate ». Les news les mieux classées sont bien sûr celles les plus mises en avant. Jason a mis les moyens, et c’est une équipe de 25 personnes qui écumait le net à la recherche des informations les plus croustillantes.
Que ce soit au niveau du contenu ou de la forme, on n’hésitait sur rien, quitte à ne présenter qu’une partie de l’information pour provoquer un maximum de réactions.
Les plans prévoyaient même un développement dans plusieurs langues et localisé pour ratisser le plus large possible, et à l’origine la version française aurait dû être mise en ligne cette année.
On s’est vite rendu compte que tous les pays avaient cette population de personnes nées pour critiquer et pour ne jamais être contentes. On y voyait un potentiel énorme.
Le lancement en septembre 2015 a été fulgurant, avec de très nombreux curieux venus créer un compte.
Au début, cela a été un succès. Mais très vite je me suis aperçu que les choses ne se passaient pas vraiment comme je l’avais espéré. En effet, la majorité de nos visiteurs venaient pour vanner et balancer des plaisanteries. Notre cible, les haters, n’était tout simplement pas là. Les curieux venus au début on vite laissé tomber, et tout s’est effondré à une vitesse incroyable.
Effectivement, malgré une tentative de repositionnement en site satirique, sans doute trop tardive, les visiteurs n’étaient plus là, et les salaires des employés ne pouvant plus être payés, en mars 2016 le site ferme définitivement ses portes.
OK, je me suis planté, mais ça valait le coup d’essayer. Depuis, en association avec la School of International Business de Cleveland, je participe à des conférences sur l’analyse de l’échec. Je n’ai donc pas tout perdu !
Andrew Patterson, Directeur de cette école, nous en dit plus.
GrouchySmurf.com est l’illustration même de l’étude de marché qui semble solide, mais qui est un échec du fait de l’oubli d’un ou deux facteurs critiques. Dans le cas présent, c’est la nature même du hater qui a été négligée. Pour faire simple, Jason a juste oublié que le hater est dès le départ un individu déséquilibré. Quand on n’aime pas quelque chose, à moins de souffrir d’un désordre mental, on se contente d’arrêter. Il faut être tordu pour continuer à regarder une série télé qui nous ennuie, pour acheter une console qu’on déteste, jouer à un jeu qu’on ne va pas aimer de toute façon, ou pour manger des plats qui nous font vomir. Or ces individus ne s’intéressent pas du tout à l’actualité, aux informations, ou à quoi que ce soit qui puisse être positif. Ils se refusent le plaisir de profiter du loisir qu’ils ont ciblé, et se créent un équilibre mental à travers l’opposition, se donnant ainsi une importance qui leur donne la sensation d’exister. C’est un type de comportement qu’on retrouve dans tous les domaines de notre société, des loisirs à la politique en passant par la religion. Pour citer Jason, qui a un langage un peu plus direct que le mien, et si vous voulez bien m’excuser cette parenthèse grossière, ce sont avant tout des chieurs doublés de putain de masochistes.
Pour en savoir plus, il faudra aller à une de ces fameuses conférences ! On ne peut malheureusement que regretter que GrouchySmurf.com n’ait pas été un succès, cela aurait permis de regrouper les parasites en un même endroit. Désolé, il va falloir continuer à vivre avec…