Quand on joue beaucoup aux jeux vidéo, il y a une chose qu’on adore faire, c’est critiquer ce qu’on a sous les yeux. Project Spark débarque donc pour nous donner l’occasion de faire mieux ! Histoire de lever tout malentendu éventuel, Project Spark n’est pas un jeu : c’est un outil de création. Mais que ceux qui ne se sentent pas l’âme de créateurs ne passent pas leur chemin pour autant, car c’est également une plateforme de partage communautaire, ainsi qu’un documentaire interactif sur les rouages de la conception d’un jeu. Rien que ça.
Par où on commence ?
Au lancement du jeu, savoir ce qu’on va faire en premier est la question qui va forcément préoccuper le joueur impatient. Si la tentation est grande de directement essayer de créer quelque chose, je suggère de démarrer par une visite de ce qui a déjà été fait par les autres.
Pour la première étape, rien de tel qu’un petit tour par un jeu complet conçu par les développeurs. Celui-ci n’est pas désagréable sans être pour autant extraordinaire tant il est classique, mais mérite tout à fait d’être joué. Cela donne une idée de ce à quoi on peut arriver quand on maitrise la bête. Dans un univers d’heroic-fantasy reprenant tous les poncifs connus, on cherchera à libérer les pauvres innocents victimes d’un mal étrange qui rôde et qui répand sa malédiction en libérant des créatures méchantes, et même pas gentilles. Ce jeu d’action-aventure, jouable en coop, sert surtout à appréhender les mécanismes de Project Spark, à travers de petites énigmes qui sont autant d’entraînements pour la « programmation » de l’outil. Pour vous donner une idée, la réalisation est d’un niveau équivalent à ce qu’on peut trouver sur le XLA de la 360. Donc plutôt pas mauvaise !
On passera ensuite aux créations de nos compères joueurs. Celles-ci sont classées par notation (on peut évaluer tous les titres qu’on essaie), mais également par genre, et on peut trouver ce que l’on souhaite en effectuant une recherche par mot clé. Beaucoup de ces micro-jeux sont de peu d’intérêt, ou présentent un seul niveau, mais on découvre, parfois par hasard, des jeux déjà remarquablement aboutis, et ce dans de nombreux genres. Naviguer au cœur de ces créations donne un sentiment équivalent au surf sur Internet sans but précis. On passe d’une chose à une autre, et parfois un peu par hasard on tombe sur quelque chose qui nous accroche franchement et on y passe plus de temps. En jetant un œil à l’horloge, on s’aperçoit alors que sans qu’on s’en rende tout à fait compte on a passé un long moment sur cette activité bien agréable. En dehors de l’outil de création, rien que cet aspect mérite que Project Spark soit téléchargé, d’autant plus qu’il est gratuit (nous reviendrons plus en profondeur sur ce point plus loin…). Il y a des concepteurs amateurs qui ne manquent pas d’idées et qui manifestement maitrisent déjà très bien Project Spark.
On regrettera par contre que l’identité visuelle de ces petits jeux soit très souvent similaire, ce qui devrait logiquement s’arranger avec le temps, étant donné le fonctionnement de ce free to play (là-dessus aussi, on va revenir plus loin, ne soyez pas impatients comme ça, voyons !). A noter, option plutôt fun, qu’on peut modifier à loisir toutes les créations mises à disposition pour en faire nos propres versions. Idéal pour les feignants !
Super-Minecraft
Bon, c’est pas tout ça, mais à un moment donné, il faut aussi se remonter les manches et laisser aller la fièvre créatrice qui nous habite. Un tutoriel bien pensé, dans un environnement 3D, nous donne les premiers cours. Les possibilités sont tellement vastes qu’ils s’avèrent bien nécessaires ! Tout n’est pas couvert dans ce tutoriel, loin, très loin de là, mais on y apprend la logique de l’outil.
Pour la conception graphique, on va raisonner un peu comme dans Minecraft, en utilisant des objets et textures mises à disposition pour façonner un niveau. Si on peut penser que la souris est plus pratique, la manette de la Xbox One permet également de faire ce qu’on veut, avec une précision redoutable. Si le level-design du niveau n’est pas réussi, inutile de blâmer qui que ce soit mes amis, c’est votre faute ! On va ainsi policer les graphismes jusqu’à obtenir exactement ce qu’on souhaite. La bonne surprise, c’est que, dans les faits, on peut toujours réellement arriver à ce qu’on veut, tout n’est question que de patience et d’application… D’ailleurs, quand on commence, l’environnement 2D, plus abordable au premier abord, peut être un bon entraînement.
La deuxième partie de la création consiste à définir les mécanismes du jeu. Pour cela, Project Spark propose un système d’IA appliqué à tous les personnages et objets. Ce langage consiste à exprimer par le biais d’icônes les conditions pour qu’une action se déclenche. L’exemple le plus simple : quand le joueur appuie sur A, le personnage saute. On peut par la suite donner des instructions plus complexes, qui prennent en compte plusieurs facteurs. Par exemple : quand le personnage saute, si on appuie à nouveau sur A cela donne un double saut. Les icônes sont très nombreuses et classées dans divers dossiers, plutôt explicites, mais qui demandent tout de même un certain apprentissage pour s’y retrouver. Quand j’ai fouillé Project Spark en préparation de ce test, je crois bien que j’ai toujours réussi à obtenir ce que je cherchais… Mais parfois au prix d’une recherche approfondie, et en testant systématiquement le résultat pour m’assurer que cela correspondait bien à ce que je voulais. Ce codage est à la fois simple et puissant, et doit être appliqué à tout ce qui génère une interaction. Si on peut donc vite s’amuser à faire quelque chose de basique, on se rend vite compte que pour arriver à un résultat concluant il est nécessaire de penser son jeu, de savoir où on veut aller, et de quelle façon on veut y arriver. En gros, Project Spark fournit le moteur du jeu, qui comprend les collisions, les mouvements de base (saut, tir…), la caméra et les scrollings, ainsi que toute une palette d’éléments à utiliser. C’est en cela que Project Spark est comme un documentaire sur les concepteurs de jeu. On réalise la complexité de l’opération, et à quel point la réussite ou l’échec se joue sur des détails qui n’en sont pas. On réalise aussi à quel point cela est chronophage !
Ce fameux moteur est dans l’ensemble étonnamment performant pour un outil grand public. Il affiche bien quelques lacunes, concernant la caméra quand il y a deux joueurs essentiellement, ou bien parfois quelques soucis de collisions, mais par rapport à ce qu’il permet de faire, c’est négligeable. On est ainsi impressionné de constater qu’on peut réellement surcharger l’écran sans que cela ne génère de ralentissements, même quand on y ajoute divers effets spéciaux comme des déformations. L’animation des personnages n’est pas sans faille, mais de la même façon est tout à fait suffisante pour un rendu complexe avec de nombreuses interactions. En bref, ce n’est pas une blague, on peut faire pratiquement tout ce qu’on veut en environnement 3D, en vue FPS, ou bien en 2D. Les promesses sont tenues !
Tu paies ou tu paies pas ?
Mais alors, Project Spark n’a pas de défauts ? Et bien si malheureusement, et ce n’est pas vraiment lié au contenu, mais plutôt à la forme de la mise à disposition. Proposer le jeu en free-to-play est à la fois une bonne et une mauvaise idée.
En effet, au départ, on a un accès limité à… tout. Pour faire quoi que ce soit, il faut dépenser des unités, ou bien payer. Certains contenus sont même seulement accessibles en payant. Il existe également une forme d’abonnement qui donne un accès étendu aux objets et options. L’effet pervers est immédiat : au départ, et pendant un bon moment, on se retrouve limité dans les créations. L’univers d’heroïc fantasy est de suite accessible, mais pour peu qu’on cherche à l’agrémenter de nouveaux objets, ou bien si on souhaite passer à d’autres environnements, soit on a les points pour, soit on paie. A chaque fois qu’on fait quelque chose, y compris une simple connexion quotidienne, on gagne des points. On peut donc réellement utiliser Project Spark sans payer, en débloquant au fil du temps ce dont on a envie, mais on se retrouve vite limité et cela demande une bonne dose de patience. C’est sans doute la raison pour laquelle on retrouve si souvent les mêmes éléments d’une création à l’autre : les mêmes arbres, ou bien des gobelins utilisés lors d’un remake d’Halo !
Cette logique n’est en soit pas absurde, et assure à Project Spark une diffusion démocratique et universelle. De même, il faut bien que l’éditeur gagne de l’argent sur l’excellent travail fourni. Mais à mon sens l’équilibre est à revoir, car les prix pratiqués m’ont semblés trop élevés, pénalisant de fait les possibilités créatrices. Alors que le concept même du produit est d’inciter à la création, il est regrettable que celle-ci soit indexée à la profondeur du porte-monnaie. J’avoue regretter une version boîte à 60€, mais contenant tout ce qui est à débloquer dans cette version exclusivement en ligne. Les deux auraient pu coexister, et les créations faites à partir de la version boîte auraient été un formidable ambassadeur du titre, montrant à quel point la variété est possible.
Il ne faut pas cependant hésiter à télécharger Project Spark, mais pour les créateurs en herbe, le système souligne fortement qu’il faut bien savoir au départ quel jeu on veut créer, afin de débloquer ou acheter ce dont on a vraiment besoin. Décidément, quand je parlais de documentaire… On a donc là également une simulation de gestion de budget d’un studio de développement !