Treize années se sont écoulées depuis notre dernière interaction avec Alan Wake, l’écrivain tourmenté et protagoniste du jeu éponyme. L’attente fut longue, très longue même, et les fans les plus optimistes commençaient à perdre patience. Heureusement, une mince lueur d’espoir a été entretenue avec l’excellent Control, précédente production du studio Remedy, qui teasait subtilement un retour de notre héros préféré. Il faut dire que le projet initial était atypique pour un jeu vidéo, nous mettant dans la peau d’un auteur de romans à succès hanté par ses écrits et en lutte contre des forces surnaturelles, le tout dans un univers tout droit sorti des œuvres de Stephen King. C’est donc armé de notre lampe torche que l’on se prépare à replonger dans ce récit captivant, où la lumière est notre seule alliée face aux ténèbres grandissantes.
La Saga continue
Le retour à Bright Falls, lieu des événements du précédent épisode, ne se fait pas en douceur puisque l’on commence l’aventure en incarnant un corps meurtri et nu s’extirpant non sans peine du tristement célèbre Cauldron Lake. Rampant pour sa survie, le personnage est vite rattrapé par un groupe de tueurs mystérieux, abrégeant son supplice de la manière la plus graphique possible. Cette séquence d’introduction produit l’effet d’un coup de poing dans l’estomac, on se cramponne de toutes nos forces au rembourrage de notre fauteuil et on reste pantois face à la scène dont on est à la fois spectateur impuissant et acteur forcé. Le ton est posé, Alan Wake 2 n’est pas là pour faire dans la dentelle et on reste un peu sous le choc après ce premier contact.
Ce meurtre n’est pas sans conséquence et surtout, il n’est pas le premier du genre dans la région. Saga Anderson, une agente du FBI, est envoyée sur les lieux afin de trouver le ou les coupables de ces crimes rituels. C’est accompagné d’Alex Casey, dont la motion capture est assurée par Sam Lake (le directeur créatif de Remedy), que nous foulons les sentiers boueux des abords du lac sous les traits de Saga, à la recherche d’indices.
On évolue dans des décors boisés, humides et où le soleil couchant est l’une de nos deux seules sources de lumière, équipé de notre précieuse lampe torche.
Ces premiers chapitres en compagnie de Saga et d’Alex renvoient directement à l’excellente première saison de True Detective ainsi qu’à d’autres thrillers similaires. Dépourvu d’affrontements dans un premier temps, le jeu n’en oublie pas pour autant de soigner son atmosphère, véritablement pesante et s’épaississant à mesure que l’on avance vers les profondeurs de la forêt. C’est également l’occasion pour le titre de présenter une de ses nouvelles mécaniques appelée « The Mind Place » (Antre mental, en français).
L’Antre mental
À tout moment, le joueur peut entrer dans cet espace mental imaginaire et hors du temps, sorte de « menu pause » amélioré où il est possible de réécouter certains dialogues, d’afficher les pages de manuscrits récupérés, d’évoluer nos armes, etc. C’est également l’endroit où notre héroïne peut assembler les divers éléments d’enquête ramassés sur le terrain, construisant ainsi indice après indice les pièces pouvant faire progresser son investigation et ses dossiers en cours, ayant un impact direct sur les événements du jeu.
Bien que l’on salue l’effort, notamment au début de l’aventure où le moindre renseignement permet d’y voir plus clair dans cette enquête visiblement opaque, on regrette malgré tout que l’ensemble soit si dirigiste. Impossible de se tromper, il « suffit » de sélectionner le bon document avec le bon thème pour que la solution se présente à nous, résultant souvent de plusieurs essais-erreurs jusqu’à trouver le cheminement correct, un peu comme les jouets pour enfants en bois avec différentes formes de couleurs à placer dans les bons trous. Le tout est heureusement facilité par l’absence quasi complète de chargement pour accéder à l’espace mental, ou pour revenir en pleine partie.
N’oublions pas Alan Wake
Mais Saga n’est pas la seule protagoniste de l’histoire, vous vous en doutez. Sans rentrer dans les détails (car oui, la narration repose énormément sur certains passages clés, évitez de trop en lire et en voir avant de vous lancer dans l’aventure), nos recherches aboutissent bien évidemment sur Alan Wake, le deuxième personnage jouable de cette suite, ayant tout juste réussi à sortir du lac.
Et si l’intrigue en compagnie de Saga évolue comme un thriller psychologique, on plonge carrément dans l’horreur surnaturelle une fois aux commandes d’Alan. De toute évidence, la temporalité est un peu mélangée, notre écrivain préféré étant toujours coincé au sein de la « Dark Place » durant les sections qui lui sont dédiées, devant se frayer un chemin vers la surface.
On troque la réalité poisseuse des chapitres précédents pour se retrouver dans un New York fantasmagorique, sorte de hub propre à la campagne d’Alan où différents bâtiments clés se trouvent à quelques mètres les uns des autres. Les ombres bougent et sont menaçantes, les éclairages des néons bavent sur les parois, affichant sans doute les plus beaux effets de lumière vus sur console à ce jour. Une fois encore, Remedy fait des miracles en termes de graphismes, et ce même sur les versions Xbox qui tiennent bien la comparaison face à l’extraordinaire mouture PC.
Cette deuxième partie de l’aventure permet au jeu de se lâcher pleinement, tant visuellement que dans sa narration, certains passages frôlant la folie pure et faisant écho aux démons qui tourmentent l’esprit d’Alan, coincé depuis treize ans dans le lac. La narration environnementale est particulièrement incroyable, chaque décor, mur ou même affiche renvoie vers un autre élément du jeu, propulsant l’immersion à un niveau jamais vu ailleurs dans un jeu vidéo. Qui croire, où aller, et surtout : comment échapper à la présence sombre ? Tant de questions et pourtant très peu de temps, puisque les ténèbres ne sont jamais loin de notre héros, le harcelant dans sa quête de rédemption. Le gameplay change peu par rapport à Saga, bien que certains puzzles basés sur la lumière viennent s’ajouter à l’ensemble.
L’espace mental d’Alan fonctionne néanmoins un peu différemment de celui de Saga, puisque l’on remplace les dossiers d’enquête par la rédaction de pages de manuscrit, plus cohérente avec ses talents d’écrivain. Dès lors, il est parfois possible de réécrire le contexte d’une séquence, modifiant en temps réel les différents éléments du décor qui la composent.
Les décisions sont elles aussi prédéfinies et les choix scriptés, forçant à sélectionner le bon thème pour la bonne scène afin d’avancer. Pas si compliquée, cette mécanique propre à l’écrivain est surtout visuellement impressionnante, puisque l’on voit se transformer notre terrain de jeu sous nos yeux, libérant ainsi un ou plusieurs passages de ses obstacles, mais avec de nombreux ennemis prêts à nous sauter dessus.
Le choix de notre protagoniste est libre et l’on peut soit alterner entre Saga et Alan Wake, soit faire l’une puis l’autre campagne dans leur entièreté, sachant qu’il faudra obligatoirement finir les deux scénarios afin de pouvoir accéder aux derniers chapitres.
Et la lumière fût
On retrouve cette dualité également entre la lumière et l’ombre, parallèle du bien et du mal, qui était déjà au cœur du premier épisode d’Alan Wake. Nos adversaires sont possédés par la présence sombre, entité maléfique les enveloppant d’une brume épaisse, ne craignant qu’une seule chose : la lumière. Encore une fois, notre arsenal est composé d’éléments pouvant les éclairer, et les batteries de secours pour la lampe de poche seront à conserver pour le bon moment, faute de quoi une mort implacable se produira.
Le gameplay suit lui aussi le virage opéré par le scénario vers l’horreur. Les ressources sont limitées (et d’ailleurs le jeu est particulièrement radin lorsque l’inventaire est presque plein, nous rationnant pour éviter le surstock), les ennemis coriaces et il ne sera pas toujours possible d’éliminer toutes les menaces qui se présentent, faute de munitions suffisantes. Plusieurs combats de boss viendront pimenter le challenge déjà relativement corsé, ponctuant généralement le dénouement des différents moments clés de la trame du scénario.
On pense notamment aux « Overlaps », corridors interdimensionnels où Saga s’aventure en fin de chapitres, à mi-chemin entre la réalité et la folie de la « Dark Place » et où l’on doit affronter les principaux antagonistes de l’histoire, ces derniers utilisant ces endroits comme des refuges façonnés à leur image.
Le cadre et les lieux parcourus sont d’ailleurs plus diversifiés que par le passé, passant d’un ancien parc d’attractions délabré à un centre hospitalier en pleine nuit, sans oublier une morgue ou encore une maison de retraite. Ces différents lieux sont variés et l’atmosphère est particulièrement réussie, renforçant le côté flippant du titre.
Le terrain de jeu est également plus ouvert que dans le premier Alan Wake, permettant d’explorer un peu l’environnement dans le but de trouver des améliorations à notre équipement, bien souvent cachées ou réservées en tant que récompense derrière l’une des nombreuses énigmes. Cette liberté nouvelle est cependant un peu entachée par les aller-retours nécessaires afin de tout compléter, surtout une fois les derniers chapitres arrivés, d’autant plus que nos deux personnages se déplacent lentement.
L’Avengers de la phase 1 de Remedy
Parmi le casting, on retrouve énormément de têtes connues, alliés comme ennemies, de la même manière que plusieurs endroits connus tels que Bright Falls, magnifié par des graphismes actuels. On sent une volonté d’étendre le récit laissé délibérément ouvert il y a treize ans, récompensant ainsi les fans de la première heure. Malgré l’absence de récapitulatif du premier épisode (ne vous en faites pas, on a pensé à vous ici ), suffisamment d’éléments sont présents pour permettre aux nouveaux venus de prendre le train en marche.
La continuité ne s’arrête pas là puisqu’on dépasse le cadre du simple clin d’œil avec Control, le FBC (Bureau de Contrôle du Paranormal) étant activement présent dans Alan Wake 2. Même constat pour les autres licences de Remedy, de quoi ravir les habitués des œuvres du studio.
En effet, Sam Lake prêtait déjà ses traits à Max Payne, et le sentiment d’évoluer avec ce dernier comme coéquipier en la personne d’Alex Casey est assez troublant. Nous pensons également à Quantum Break, parfois oublié, avec lequel de nombreux parallèles peuvent être faits. Le studio finlandais gâte clairement ses fans, à tel point que l’on a l’impression de jouer au point culminant de toutes leurs productions antérieures.
Action !
En parlant de Quantum Break, l’œuvre cross média qui intégrait une série filmée en prises de vues réelles entre ses différents chapitres de gameplay, difficile de ne pas y voir l’aboutissement de ce concept en présence d’Alan Wake 2. Pas ou peu de cinématiques en images de synthèse, la plupart de ces dernières sont tournées avec de vrais acteurs, ceux-ci prêtant leurs visages aux personnages via la motion capture. L’effet est tout simplement saisissant (et rassurez-vous, on est très loin du résultat volontairement « nanar » des scènes en FMV de Command and Conquer).
Dûe à l’excellent travail fait sur les graphismes, en particulier sur la fidélité des traits de nos personnages et la restitution des décors , la transition est peu perceptible et le rendu global fonctionne à merveille. Mention spéciale à l’acteur campant le rôle d’Alan Wake, Ilkka Villi, qui donne clairement de sa personne, ou encore à Sam Lake lui-même, capable de changer d’émotions en quelques secondes, le tout en restant parfaitement crédible.
Il en va de même pour la bande-son, que cela soit pour les bruitages ou les musiques, chaque fin de chapitre ayant droit à sa propre chanson (on les retrouve d’ailleurs sur les plateformes de streaming, allez les écouter, c’est du très bon).
Au final c’est le soin apporté au moindre détail qui est bluffant (sauf à la synchronisation labiale qui elle, est complètement aux fraises, même en version originale), on sent que la cohérence de cette suite vient de la liberté totale donnée au studio, qui nous livre ici une œuvre complète et sans concessions. Alors certes, cela se fait au détriment (pour l’instant, du moins) du support physique, puisque le jeu n’est disponible qu’en digital, choix de l’éditeur oblige. Mais si c’était le prix à payer pour enfin avoir droit à ce deuxième épisode, autant dire que cela en valait la peine.
Test réalisé sur Xbox Series X.