Après la vague d’enthousiasme liée à sa sortie et l’effet de surprise passé, Resident Evil VII laissait un goût étrange, un peu avarié, d’une recette mâchée et recrachée sans en avoir tiré pleinement les nutriments. Il est vrai que les zombies se moquent un peu des bienfaits de la mastication, mais de la part d’une série qui a déjà prouvé qu’elle savait se renouveler et en voyant cette dernière emprunter un nouveau style à la mode, nous étions en droit d’attendre qu’elle laisse à nouveau son empreinte (sanglante) dans l’industrie. Pour le coup, Village semble profiter d’un regain d’assurance face à son concept et veut s’assurer un renouveau en lorgnant du côté de Resident Evil 4, notamment en ce qui concerne son ambiance. Preuve s’il en fallait qu’une mutation de la licence est tributaire de cet opus intouchable en son temps. Ce huitième épisode doublera-t-il la mise ? Probablement.
C’est la fête au village
Ethan Winters et sa femme Mia vivent des jours heureux avec leur nouveau-née, Rosemary. Sauvés de la Louisiane par un Chris Redfield dopé aux hormones, ils ont suivi ses conseils et se sont réfugiés dans les pays de l’Est. On se souvient pourtant que leurs retrouvailles ne s’étaient pas passées pour le mieux dans les bayous et pour ceux qui ont loupé ou oublié les événements du précédent titre, tout est résumé en début de partie. Resident Evil Village est la suite directe du VII et on peut même dire qu’il est le deuxième chapitre d’une série qui n’a aucunement envie de s’arrêter en si bon chemin, maintenant qu’elle a magnifié sa recette.
Pourquoi cette zone du monde ? Pourquoi Mia ne veut-elle pas parler du passé ? Comment vivre et oublier avoir été infectée et possédée mentalement par un virus ? Et c’était quoi d’ailleurs ce virus ? Tant de questions de fond auxquelles cette suite tente de répondre, tout en ajoutant de nouveaux mystères. Il faudra néanmoins se rendre à l’évidence, la série a beau faire mine de vouloir garder son sérieux à chaque début de jeu, elle n’en reste pas moins une série Z qui oscille entre le beaucoup trop sérieux et le lâcher prise le plus décomplexé. Village ne déroge pas à la règle et sait profiter de ces nombreux changements de ton pour emmener le joueur dans une balade tour à tour flippante, bourrine, grandguignolesque, oppressante, mais surtout parfaitement rythmée. Là se situe l’héritage du quatrième opus.
Village est un bien meilleur jeu en tous points que Resident Evil VII qui apparaît alors encore plus comme un brouillon mal maîtrisé d’un concept sur lequel on avait mis une skin de la série afin d’en vendre un paquet. Oubliez les décors redondants peu intéressants ou encore l’aspect walking simulator aux jump-scare prévisibles, ici tout est remis à plat pour magnifier les idées qui fonctionnaient.
Cela commence par cette vue à la première personne, davantage maîtrisée, notamment grâce aux environnements beaucoup mieux pensés. Le village et les environs que l’on visite sont plus ouverts, labyrinthiques et crédibles. Surtout, les éléments d’angoisse et de peur ne sont plus vraiment générés par des téléportations de personnages à tout bout de champ sans aucune logique pour le simple plaisir du sursaut. Certes, il reste des jump-scare ou des choses incohérentes mais dans l’ensemble, la narration et surtout la mise en scène sont beaucoup mieux dosées.
Comme évoqué, les changements de ton ici sont totalement assumés et maîtrisés. On passe donc plus facilement d’un jeu de cache-cache dans des couloirs à un escape game à grande échelle aux énigmes vicieuses tout en alternant avec des moments pensés pour que l’on crame toutes nos munitions jusqu’alors sagement économisées. Ce triple-A assure son statut de blockbuster avec des combats de boss vraiment intéressants et funs, ainsi que grâce à un bestiaire renouvelé avec brio. Les lycans comme les vampires et autres joyeusetés sont revisités à travers le prisme de la mythologie de la saga pour rendre le tout cohérent, à défaut d’être crédible. On jubile de voir comment sont abordés et utilisés ces monstres en étant toujours dans la peau d’un personnage qui accepte facilement tout et n’importe quoi. La suspension de l’incrédulité qui en découle n’est jamais trahie par des artifices trop simplistes ou un relâchement de tension. Village est un roller coaster incroyable qui file autant les foies qu’il ne suscite le plaisir lorsqu’il s’agit de coller une bonne rouste à un monstre dégueulasse à coup de lance-grenades.
L’esprit Resident Evil est respecté, même si des éléments changent. Par exemple, point de coffre ici, il faut garder tout son matériel sur soi. Pour pouvoir en transporter plus, il faut upgrader son équipement auprès du Duc, le marchand local qui se trouve toujours mystérieusement au bon endroit au bon moment (cela vous rappelle quelqu’un ?). Il acceptera de racheter tous les trésors que vous lui ramènerez en échange d’armes parmi les grands classiques de la série, d’améliorations de celles-ci, de munitions ou de soin. Il concoctera aussi de bons plats afin de booster votre santé ou résistance si vous lui ramenez du gibier. Ces mécaniques de survie ne sont pas invasives et la progression est savamment orchestrée pour globalement ne jamais manquer de quoi que ce soit ni être frustré de ne pouvoir porter plus de choses. Il n’y a donc pas de gestion de stock à proprement parler, il faut voir cela comme un moyen de faciliter la vie de ceux qui le souhaitent. Seul le plaisir et le fun comptent, sans avoir à s’encombrer d’éléments de gestion si l’on préfère vivre l’aventure comme tel.
Ghoul and the Gang
Ethan n’est pas un homme compliqué à vivre. Il accepte et s’adapte à tout, mais surtout, encore une fois, il encaisse des souffrances invraisemblables. Seulement, l’aspect Torture-Porn mélangé à du Texas Chainsaw est mieux dosé ici. Les antagonistes ne sont pas une famille dysfonctionnelle increvable vivant dans un squat pour redneck toxicomane. Chaque personnage croisé dans le jeu dispose d’un univers qui lui est propre en matière de lore ainsi que de décors adaptés à ses caractéristiques. Tout cela fait d’eux des personnages hauts en couleur. Même s’ils sont sacrément barrés, ils ne sont pas mis en scène de manière grotesque avec des morts à répétition jusqu’à l’overdose pour montrer à quel point ils sont surhumains. Ces “freaks” savent donc générer de la crainte en collant à l’adage “point trop n’en faut”. Quand on y repense, c’est presque un coup de maître de la part du service marketing d’avoir mis l’emphase sur Lady Dimitrescu pour mieux nous surprendre.
La richesse des décors n’est vraiment pas à prendre à la légère pour le plaisir que cela apporte. Tous les choix techniques semblent avoir été faits pour permettre au jeu de générer des moments forts avec trois fois rien. Par exemple, on est amené à passer à travers un petit champ de blé. L’ambiance est glaciale, les brins bougent au gré du vent mais pas que. On entend des choses, on voit des mouvements, mais on ne sait pas ce qui nous menace. Et puis c’est le chaos, la perte des repères ou plutôt l’excellence des indications sonores et visuelles font que l’on se sent pleinement débordé et menacé durant l’attaque. Des moments forts fait de rien du tout, Village en regorge. On se crispe parfois sur sa manette en essayant de fuir à toutes jambes sans pour autant que les cris horribles ne nous lâchent.
Chaque nouvelle apparition de monstres sème le doute et ce même si on est bien équipé pour survivre - le jeu est rarement difficile en mode normal - et lorsque l’on commence à s’adapter à eux, soit il y a des variantes, soit ils surgissent en surnombre pour nous faire paniquer. La recette est classique mais parfaitement maîtrisée. Cela amène d’ailleurs une mécanique sympathique utilisée à plusieurs moments de l’aventure : il est possible de se barricader dans un endroit confiné pour tenter de survivre à un assaut. Coincé à l’intérieur, on entend les cris autour ou les bruits de pas sur le toit, des bras passent par les fenêtres cassées pour nous attraper. Sensations fortes garanties, surtout en jouant au casque ou avec un bon système son spatialisé. Faire attention à ses munitions, tendre des pièges en laissant un passage pour que les monstres nous atteignent en ayant posé une mine au préalable.... Les combats de Resident Evil Village sont terriblement plus mémorables et maîtrisés que dans le VII, qu’ils soient intimistes ou grandiloquents. On peut se jouer de l’environnement pour gérer les différentes menaces, prioriser ses cibles. Le jeu gagne en plaisir immédiat, quel que soit le niveau du joueur.
Un autre aspect qui marque beaucoup l’esprit, ou plutôt la rétine : jamais l’horreur n’aura été aussi belle. Les décors sont superbes. Les détails les rendent crédibles et on a de la peine autant que de la crainte en arrivant dans un cabanon perdu saccagé sauvagement alors que le repas est resté à refroidir sur la table. On est happé dans cet univers par le noir qui nous entoure alors que l’on se rattache parfois pour avancer à une lumière qui vacille. Vive le HDR même si c’est trop sombre par moment avec les réglages proposés. En tout cas, les mains d’orfèvres de Capcom délivrent ici un jeu absolument sublime moulinant parfaitement avec le Ray Tracing activé, même si le gain est timide tant le jeu dispose d’une direction artistique sublime. Les concessions techniques sont discrètes et rien ne jure vraiment en matière de texture ou de modélisation. Les personnages que l’on croise sont expressifs au possible et les animations du bestiaire les rendent imprévisibles le temps qu’on apprenne à les connaître. C’est qu’un lycan ou une goule ça ne se dégomme pas comme un zombie. Conseil d’ami : jouez-y dans le noir et au casque.
Ni trop long ni trop court, il nous aura fallu environ dix heures de jeu pour venir à bout du titre en éliminant des boss secondaires, essayant de faire de la complétion et d’upgrader au maximum les équipements. Bien sûr, comme pour tout épisode de la saga, il y a moult choses à débloquer pour enchaîner des runs parfaits avec le défi de finir le jeu en moins de 3 heures. Cela fera patienter au mieux les acharnées avant l’arrivée du mode Mercenaire qui sera le bienvenu si les maps sont bien pensées car avec ce gameplay, il y a moyen de faire quelque chose de bien.
Test réalisé sur Xbox Series X.