Dossier - Braid, 2 ans après

«Plus profond qu’il n’y parait, les détails» , - 7 réaction(s)

Après un Limbo qui m’a un peu déçu, tant les courts moments de jeu me rappelaient le regretté Braid, je me suis dit « Peut-être que, comme il arrive souvent à chacun d’entre nous, j’ai embelli mes souvenirs de Braid à tel point que je me suis gâché le plaisir que j’aurais pu éprouver sur cet enchantant mais critiquable Limbo ? ». Et bien j’avais tort, Braid mérite les louanges que je lui portais, et même bien plus, je crois que la profondeur réelle de ce jeu a été ignorée par de nombreux joueurs, moi le premier. Deux ans après la sortie du jeu, j’ai enfin compris pourquoi.

Pour la bonne compréhension de cet article, il est plus que recommandé d’avoir terminé le jeu et d’être préparé à en découvrir des éléments potentiellement inconnus.

  Plate-forme 2.0

Braid, la plate-forme revisitée

A première vue, Braid ressemblait à un bête jeu de plate-forme comme un Mario, à la différence près que, esthétisme mis à part, le jeu proposait des énigmes parfois vraiment complexes et une gestion de l’espace-temps originale. Le but de cet article n’étant pas de faire l’apologie du jeu, je vous invite à en lire le test pour vous convaincre de l’acheter, sans quoi cet article perd tout son intérêt.

Je ne sais pas comment vous avez parcouru le jeu, mais pour ma part, je me suis contenté -et j’avais déjà l’impression d’être allé au-delà des accomplissements de certains autres joueurs-, de résoudre les énigmes pour récupérer les pièces des puzzles, tenter de déchiffrer l’histoire en lisant les livres qui parsèment les niveaux avant d’enfin achever le dernier et premier niveau en haut de la maison qui nous présente tous les tableaux des niveaux. Je pensais le jeu fini, ou presque, hormis ce bête succès qui demandait de refaire la même chose en battant le temps référence, pervertissant à mon sens l’esprit du jeu et le transformant en bête jeu de plate-forme comme un Mario où les énigmes ne sont plus découvertes au fur et à mesure mais bien connues par cœur.

  En 2 ans, j’ai eu beau refaire le jeu 4 fois, je croyais tout en connaître, même si à chaque fois je devais redécouvrir certaines énigmes qui ne s’étaient pas imprimées comme les autres dans ma mémoire. Et pourtant, ce n’est qu’au bout de la 4ème fois que j’ai commencé à saisir la profondeur du titre.

En recherchant totalement par hasard sur le net des explications officielles du contenu des livres, jusqu’alors assez évasifs et sujets à moult explications diverses, je tombe sur un lien qui parle d’étoiles à récupérer. Ni une ni 2, direction youtube, où je vois que l’obtention de ces étoiles peut offrir au joueur une fin alternative. Là, comme tout joueur dont l’intérêt pour un jeu dépasse l’indifférence, je me suis senti obligé de tester tout ça en lançant, à peine la 4ème partie finie, une cinquième fois le jeu. Autant dire que je ne voyais absolument pas où ces-dites étoiles pouvaient se cacher (les récupérait-on en assemblant les tableaux ?), et il s’est avéré en furetant sur le net que les chercher soi-même relève du véritable exploit. A l’heure où je vous parle, Tim (rappelez-vous, le héros du jeu !) est en route pour récupérer l’avant-dernière, après tout un après-midi passé sur ce jeu que je connais pourtant plutôt bien…

Mais la richesse dont je voulais parler ne se limite pas à cette quête annexe planquée comme vos premiers préservatifs dans votre chambre, mais bien de l’histoire, incroyablement complexe, qu’offre Braid.

  Scénario 1.5

Jusqu’à maintenant, je l’avais prise pour une « simple » histoire d’un chevalier servant autoproclamé et d’une princesse, illustrant métaphoriquement les difficultés d’un couple dans le monde moderne. Déjà là, l’histoire me satisfaisait puisqu’il s’agissait d’une façon originale de traiter un sujet jamais -ou très peu- traité en jeu vidéo. A chaque fois que je recommençais le jeu, en relisant les bribes de scénario, je comprenais un peu mieux certains enjeux de ce couple et me posais de nouvelles questions, jusqu’à penser que la princesse était en fait une chimère -une fille intouchable ou qui ne voulait pas de notre héros- poursuivie par un homme dont la vie de couple parfaite semblait compromise par cette idée qu’il avait de rechercher en vain la femme parfaite. Elle pouvait aussi être l’idéal d’un homme déçu par son couple, comme un enfant (cf la fin où on parle d’enfants et de possessivité) chérit un rêve qu’il garde toute sa vie sans jamais l’approcher, une sorte de jardin secret qu’il ne doit surtout pas atteindre, se contentant d’une vie morne. Un petit tour sur internet, et, un peu à la manière du récent Inception sorti au ciné qui offre la possibilité de plusieurs interprétations (http://www.xboxygen.com/forum-xbox-360/viewtopic.php?f=28&t=79&start=890#p61501), on se rend vite compte combien il est possible de sous-estimer le jeu, puisque les propositions d’éclaircissements sont suffisamment dignes d’intérêt pour que je partage avec vous le fruit de mes recherches !

  Scénario 2.0

Ecran titre du jeu

En fait, Braid, ce n’est pas l’histoire de Tim qui recherche une princesse pour la sauver. Braid nous conte l’histoire de Tim, scientifique un peu marginal, qui tente de créer la bombe atomique, sa princesse. Le décor sombre et le fond enflammé quand on arrive sur l’écran des tableaux d’entrée de jeu, les tableaux eux-mêmes qui mettent en scène des personnages ou des scènes suggestives ou encore le lieu cité plusieurs fois -Manhattan, comme le Manhattan Project, à l’origine des 3 premières bombes A-… tous ces détails convergent en effet vers une idée volontairement ambiguë : l’histoire est incontestablement celle d’un couple, d’un homme -possessif comme un enfant- en quête d’une femme parfaite, au point qu’elle en devient une obsession que chaque obstacle qui voudrait l’empêcher de l’atteindre ranime un peu plus ; “coïncidence” intéressante, la première bombe atomique larguée sur une ville, nommée Little Boy, a été larguée un 6 août comme...la date de sortie du jeu sur le XLA. Ça, c’est l’interprétation qu’on peut faire au premier regard sur le jeu, et c’est déjà en soi une histoire qui tient la route puisque sortant de l’ordinaire. Par analogie, il s’agit aussi de l’histoire d’un scientifique que sa soif de connaissance va amener à créer la bombe atomique, jusqu’à -vraisemblablement- vouloir faire marche arrière, c’est là toute la thématique du jeu, le temps (et par extension, l’infini et l’immortalité, deux notions abordées dans le livre de Lifton dont je parle plus bas).

 

Dernier Niveau
Tim à la poursuite de la princesse

Dans le dernier niveau -puisque c’est là qu’on y découvre quasiment tout-, les niveaux au fond enfumé se font en sens inverse, comme pour revenir sur cette journée où il a trouvé la princesse. Une princesse qu’on croit venir sauver, mais on s’aperçoit en fait que dans le niveau où on la suit, les flammes balayant l’écran (rappel : princesse = bombe atomique) s’éteignent au moment où elle s’endort. Pour finir ce niveau, il faut passer en marche arrière, qui est en fait le cours normal du temps (puisque tous les niveaux du dernier tableau sont en sens inverse) ; et là, on voit clairement que la princesse fuit Tim avant de se faire sauver par le chevalier, et non l’inverse. En continuant dans la métaphore de la bombe atomique, on pourrait identifier le chevalier comme les militaires, qui viennent s’approprier/voler l’invention des scientifiques et, en somme, la sauvent de l’obsession du savant qui reprendrait alors ses esprits, comme par magie... Avec les 7 premières étoiles en poche, on a accès à la fin alternative, celle dans laquelle Tim arrive à rejoindre la princesse en haut du niveau. Et là, écran blanc, bruit d’explosion, la princesse disparaît, laissant Tim seul sur le toit du niveau jusqu’alors inaccessible pour lui, avec la possibilité de se balader à son gré, comme hors du temps...

Dernier Niveau
Des livres riches en contenu

Après ce niveau riche en éléments clés de l’histoire, on a droit à une série de livres, à priori sans intérêt, si ce n’est que les niveaux qui les mettent en avant renferment eux-mêmes de nouveaux mystères -certes simples- à élucider afin de lire tous les enseignements qu’ils ont à nous apprendre. On y lit notamment que Tim fait des recherches scientifiques pour trouver la princesse, et qu’il est obsédé par la science depuis sa plus tendre enfance, une soif de connaissance qu’on semble vouloir lui refuser, si bien que c’est cette interdiction de jeunesse qui aurait pu l’amener à faire de telles folies : « Le magasin de bonbons. Tout ce qu’il voulait était de l’autre côté de la vitrine. La décoration de ce magasin était très colorée, et les parfums qui s’en échappaient lui faisaient perdre ses moyens. Il essaya d’atteindre la porte ou de simplement se rapprocher de la vitrine, mais il n’y parvint pas. Elle le retenait de toutes ses forces. Pourquoi cherchait-elle à le retenir ? Comment pouvait-il échapper à son emprise ? Il envisagea même la violence. »

 

Mais c’est surtout ce passage qui met la puce à l’oreille, puisque d’après les forums anglais sur lesquels j’ai pu tomber, un indice évident y est glissé : « Après une nuit de bricolage intensif, il s’agenouilla derrière un bunker en plein désert. Il protégea ses yeux d’un verre de soudeur et patienta. Ce moment semblait durer une éternité. Le temps s’était arrêté. L’espace s’était contracté en un point minuscule, comme si la Terre s’était ouverte et les cieux s’étaient déchirés. Il se sentit très privilégié, comme s’il avait assisté à la naissance du monde…[1] Quelqu’un près de lui s’exclama « Ca a marché. » Un autre : "Maintenant, nous sommes tous des bâtards (NDR : ‘des fils de pute’ en VO) ».

Il s’avérerait en fait que cet extrait en gras soit une citation d’un livre du psychiatre américain qui s’est notamment illustré dans l’étude des méfaits de la guerre sur la psyché humaine, Robert Jay Lifton, mentionné un peu plus haut dans cet article. La présence d’une mention à une note de bas de page absente du jeu cherche en effet à renvoyer le joueur vers le livre, présent à l’époque sur google books.

Révélé après avoir résolu l’énigme de la pièce, on peut lire : « Elle était grande et majestueuse. Elle rayonnait de colère et hurlait : « Qui m’a dérangée ? » Et puis, une fois sa colère retombée, elle ressentit une tristesse intérieure ; son souffle se fit soupir, comme des cendres éparpillées au vent. Elle ne comprenait pas pourquoi il avait voulu jouer de si près avec la destinée du monde. »

Une série de métaphores qui prend sens après l’explication de votre fidèle serviteur ! Une analyse ambivalente qui propose d’entrée de jeu un thème intéressant et frais en abordant les complications du couple, un conte romantique, une poésie, servie par un esthétisme sans défaut ; mais en creusant un peu, aidé par les éléments cachés que seuls les joueurs assidus auront su déceler, on découvre une pensée politique profonde et mise en scène avec suffisamment de subtilité pour laisser le joueur arrêter son jugement au degré vers lequel vont ses affinités.

 

Ecran Titre, la princesse étoilée

Une fois les 8 étoiles obtenues, au retour à l’écran sombre avec la maison aux différents tableaux, on a droit à une constellation de 8 étoiles représentant une princesse…un dessin étoilé se forme, ressemblant étrangement à la constellation d’Andromède qui, comme vous le savez tous en bons enfants nourris aux chevaliers du Zodiaque, a été offerte en sacrifice à la baleine Cestus envoyée par Poséidon pour punir les hommes de leur arrogance (bon à la fin elle s’en sort quand même).

  A la lueur de ces explications, vous comprenez que le personnage que l’on dirige, censé être le héros, comme dans 99% des productions actuelles, n’en est pas un. Il s’agit du méchant scientifique rendu fou par la quête de la connaissance, ce même savant fou qui a été dépeint des centaines de fois au cinéma, même si en l’occurrence, il reste un pion sur l’échiquier des politiques (et paf, encore une idéologie transmise par le jeu !), empli de regrets à la manière d’un Albert Einstein qui déclarait après le bombardement d’Hiroshima, à propos de sa lettre soutenant le bombardement à Roosevelt : « I could burn my fingers that I wrote that first letter to Roosevelt » ; Einstein, vous savez, le même scientifique à l’origine de cette théorie de la relativité, qui impliquait la notion de courbure de l’espace-temps…

 

Voilà pourquoi Braid, ça fait mal à la tête deux fois quand on y joue : une fois pour le finir, une fois pour le comprendre...Et je ne peux que vous encourager vivement à acheter le jeu si ce n’est pas déjà fait (honte à vous) ou à le relancer pour vérifier tout ça par vous-même à la lumière de cet article, puis à venir partager votre expérience en commentaire.

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Braid

Genre : XBL Arcade

Editeur : Number None Inc.

Développeur : Number None Inc.

Date de sortie : 06/08/08

7 reactions

benbass

06 aoû 2010 @ 13:17

Tout pareil , je suis tombé par hasard sur cette explication du jeu , c’est un bon mindfuck. :D

Hoss

06 aoû 2010 @ 13:24

mieux qu’inception

Mugen

06 aoû 2010 @ 17:03

J’ajouterais même que le titre « Braid » qui signifie « tresse » en français, fait certainement référence à toutes les interprétations possibles de cette superbe histoire, comme la superposition des cheveux noués en une tresse...

En tout cas, bravo pour l’article qui aidera peut-être beaucoup de joueurs qui n’ont pas saisi toute la portée du jeu à voir à quel point il est magnifiquement construit.

Sanju

06 aoû 2010 @ 17:36

J’avais effectivement pensé à la tresse comme métaphore de l’histoire du jeu, une série de noeuds entremêlés, mais n’étais pas totalement convaincu par mon interprétation de la chose. Cela dit, ça se tient tout à fait, content de voir que d’autres ont pensé à la même chose ;)

Jarel

09 aoû 2010 @ 08:32

On voit qui en a qui n’ont pas lu mon test. ^^

vehga

14 aoû 2010 @ 10:58

Super article. J’ai finis Braid hier soir, surkiffé bien évidemment, et je suis allé lire cet article après avoir fait ma petite conclusion. Finalement j’étais pas allé aussi loin dans l’interprétation (enfin faire ça à chaud en même temps..). Y a pas à chier, Braid est finalement dans les moindres détails une expérience assez exceptionnelle comparé au reste du média, quand on voit à quel point le fond a été imaginé et comment il influence la forme. Magique. Bon et puis à par ça j’ai finit chaque énigme avec un sourire tellement celles ci sont bien pensées et intelligente, une perle au sens propre, rien que pour ça, ça valait le coup. Comment j’ai pu passé à coté autant de temps ..

Sanju

18 aoû 2010 @ 13:42

Ravi de le lire, mêmes les brebis égarées retrouvent le berger :D