Petit bijou d’animation en stop motion, créé entièrement à la main par l’équipe allemande de Slow Bros, Harold Halibut est un véritable ovni vidéoludique. Il s’est écoulé presque 11 ans entre le début de son développement et sa sortie, prévue le 16 avril. Entre Wallace et Gromit et Grim Fandango, le jeu emmène le joueur dans un univers rétrofuturiste décalé, à base d’humour loufoque, d’adolescents philosophes, de lois absurdes et de poissons extraterrestres !
Sous l’océan
Le Fedora est un vaisseau spatial qui a quitté la Terre il y a trois générations, à la recherche d’une planète habitable. Malheureusement, le voyage ne s’est pas très bien passé et il a fini par s’enfoncer sous les eaux d’une planète entièrement aquatique, frappée par des tempêtes solaires qui empêchent l’engin de redécoller.
Depuis, le temps a passé. Les membres du Fedora l’ont transformé en une véritable cité sous-marine et se sont adaptés à leur nouvelle situation, créant une société fonctionnelle qui, génération après génération, nourrit l’espoir de pouvoir reprendre son exploration spatiale un jour. Pour Harold, l’homme à tout faire du vaisseau, la vie est un long fleuve tranquille, vaguement ennuyeux. Harold est rêveur, maladroit, légèrement apathique, ce qui ne manque pas de lui attirer des ennuis.
Depuis le crash, c’est l’entreprise Toutes Eaux qui a pris le contrôle du Fedora, en fournissant notamment le système de transport tubulaire qui permet à chacun de se déplacer. Toutes Eaux se charge aussi de la sécurité, de la justice, du décompte du temps et de la gestion financière de la microsociété formée par les habitants. Tout commence quand Harold écope d’une amende pour ne pas avoir acheté le bon ticket de transport. Lorsque la professeure Jeanne Moreaux, pour qui il joue les assistants de laboratoire, vient régler la contravention, Harold décide de faire de son mieux pour mettre de l’entrain dans son quotidien. Commence alors une série de quêtes et de rencontres, qui vont doucement faire glisser une histoire sensible et intimiste vers une grande aventure.
Walking simulator
Harold Halibut se présente comme un jeu narratif, entre point’n click et visual novel. Il consiste à explorer le Fedora, à écouter ses différents habitants et à les aider à résoudre (ou pas) leurs problèmes. Si Harold se déplace de façon nonchalante, il est possible de le faire trottiner grâce à la touche X afin d’avancer (légèrement) plus vite. Il peut interagir avec les objets et les personnages grâce à A et accéder à son journal avec Y. Ce dernier permet de recevoir des messages, de noter les différentes tâches assignées à Harold et lui offre également un carnet, dans lequel il dessine des croquis en fonction de ses rencontres et de ses découvertes.
La plupart des tâches impliquent de transmettre une information, de ramener un objet à quelqu’un (les Fédorants n’aiment pas se déplacer !) ou d’aller réparer un mécanisme qui aura une influence ailleurs dans le vaisseau. Si certaines donnent lieu à des énigmes, elles permettent avant tout de rencontrer les compagnons d’Harold. Ils ont la particularité d’être tous très bien écrits avec leurs vécus, leurs personnalités et leurs aspirations propres. Les différents échanges avec ces protagonistes mettent en lumière les propres failles d’Harold : le héros ne se sent pas à sa place sur le Fedora, tout lui semble vain, sans saveur… On découvre aussi l’organisation sociétale et politique du vaisseau, régi par des règlements absurdes, qui donnent lieu à des dialogues souvent très drôles.
Une histoire entre humour british et récit orwellien
Le scénario se montre principalement léger et amusant. Les Fédorants sont tous gentiment loufoques, à l’image de Chris, l’instituteur latino bodybuildé qui se balade en peignoir, ou Slippie, le spécialiste des systèmes de refroidissement qui a décidé d’ouvrir une boutique de sports d’hiver à bord. Il en va de même pour leurs règles de vie en communauté.
Lors d’une séquence mémorable, le gentil postier Buddy explique qu’il dispose d’un stock de lettres non remises, car leurs destinataires étaient absents lors de leur distribution. Quand Harold lui demande pourquoi il n’a pas laissé d’avis de passage, ce dernier lui répond que l’avis ne peut être donné qu’en main propre, à la place de la lettre, le jour même. Il ajoute qu’il lui aurait été impossible de prévenir les destinataires après ça, puisque le règlement stipule qu’il ne peut effectuer aucun acte lié à son travail… en dehors de ses heures de travail ! Un monde farfelu, qui rappelle les romans d’Eugène Ionesco ou la bureaucratie folle d’Astérix.
Mais derrière l’humour se cachent de véritables réflexions sociologiques, éthiques et philosophiques. Quand Harold s’interroge, il nous renvoie à des questionnements très personnels : Quel est le but de notre existence ? Nos talents doivent-ils conditionner notre futur métier ? Comment détermine-t-on la valeur de quelqu’un ? C’est d’autant plus intéressant après l’apparition du personnage de Weeoo, qui fait office de miroir, pas seulement envers les Fédorants, mais bien envers nous-mêmes, les joueurs. En tant que protagoniste qui ignore totalement tout ce qui a trait à la civilisation, ses questions bousculent nos certitudes. Lorsque, par exemple, elle explique ne pas comprendre pourquoi les Fédorants utilisent de l’argent au lieu de tout mettre en commun pour effectuer un partage équitable, cela donne lieu à une conversation sur l’économie et les castes sociales à la fois drôle et instructive.
Le grand bleu
Ce n’est pas pour son gameplay basique ni ses énigmes très accessibles que l’on apprécie Harold Halibut, mais bien pour son histoire, son univers original et ses graphismes si particuliers. En une douzaine d’heures, plus pour ceux qui cherchent les 1000G, le jeu parvient à émerveiller, à interroger et à émouvoir avec intelligence. Impossible de nier le travail monumental fourni par les équipes de Slow Bros, quand on sait que toutes les animations, qui sont d’une qualité et d’une fluidité impeccable, ont été réalisées « à l’ancienne ». Tous les décors et les personnages du jeu ont en effet été créés physiquement, à base d’argile, de pâte à modeler et d’autres matériaux, pour ensuite être scannés numériquement afin d’être animés.
C’est ce qui confère au jeu cette ambiance rétrofuturiste, proche d’un Bioshock, et cette petite touche qui rappelle les années 1990-2000 et des jeux tels que The Neverhood, Amikrog ou The Dream Machine. Visuellement impeccable, on regrettera juste un clipping intempestif dans un endroit bien particulier lors de la seconde moitié du jeu (que je ne spoilerais pas ici) et certains rares oublis de traduction parmi les dialogues. Enfin, si ces derniers sont parfois à choix multiples, il faut garder en tête que la réponse choisie différera parfois de celle énoncée par Harold (de façon totalement volontaire et justifiée par le scénario) et qu’aucune n’aura d’incidence sur la fin de l’aventure.
Testé sur Xbox Séries X